Werther à Metz : de jolis tableaux
Paul-Émile Fourny, le prolifique metteur en scène (lire notre compte-rendu de la reprise de son Lakmé la semaine dernière à Tours) et Directeur de l’Opéra de Metz signe une nouvelle production du Werther de Massenet, dont la Première avait lieu ce vendredi dans son théâtre. Son concept est le suivant : Werther s’arrête dans un musée devant un immense tableau représentant la famille du Bailli. Sous l’effet de son imagination, les personnages du tableau s’animent et le jeune homme tombe follement amoureux de l'un d'eux : Charlotte. Sa névrose s’amplifiant, il entre lui-même dans le tableau et finit par s’y donner la mort : lorsque son dernier souffle s’échappe, son corps retombe lourdement depuis le tableau jusqu’au sol du musée, dans la réalité. Ce concept reste cohérent de bout en bout et offre des scènes d’une grande poésie. La scénographie, signée Benoit Dugardyn est très esthétique, avec ses cadres en bois et ses effets de perspective. Les éclairages de Patrick Méeüs s’intègrent totalement dans la dramaturgie en séparant la réalité du monde imaginaire.
Mireille Lebel et Sébastien Guèze dans Werther (© Arnaud Hussenot / Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
Cependant, Fourny choisit de centrer son propos sur le personnage de Werther et coupe ainsi le duo Sophie / Le Bailli à l’acte I, ainsi que les deux duos de Johann et Schmidt (Éric Mathurin et Julien Belle, dont les rôles se trouvent dès lors très réduits) à l’acte II, amputant la partition de l’un de ses aspects les plus poignants. Le drame de Werther est en effet amplifié par sa solitude sans cesse perturbée par la joie des autres : les chants de Noël qui retentissent tandis qu’il meurt, la gaieté de Sophie, les enfants qui crient en bas de chez lui durant son exil, et bien sûr l’hymne à la vie de Johann et de Schmidt qui rient et dansent à l’occasion de la fête d’anniversaire de mariage du pasteur, alors même que l’idée d’un suicide effleure pour la première fois le poète malheureux. Dans le même esprit, les dernières mesures de l’acte II, qui gagnent à faire souffler un tourbillon de bonheur sur le désespoir de Werther se trouvent presque pesantes.
Sébastien Guèze dans Werther (© Arnaud Hussenot / Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
Cette Première était l’occasion d’une quadruple prise de rôle. Sébastien Guèze chantait ainsi son premier Werther. Le jeune ténor dispose indéniablement du physique et du jeu de scène pour interpréter le ténébreux poète. Son regard sombre et sa large palette d’expressions figent le spectateur dans une compassion inépuisable tout au long de la représentation. Ses phrasés, fluides, gomment les consonnes occlusives, rendant les surtitres bienvenus. Vocalement, le ténor semble gêné dès les premières notes, soit par une indisposition non annoncée, soit par l’exigence du rôle, les aigus lui restant dans la gorge dès qu'ils demandent de la puissance, l’obligeant à forcer un instrument récalcitrant, et le conduisant à d’inévitables défauts de justesse. Pourtant, son interprétation est nuancée, donnant lieu à de beaux et subtiles pianissimi filés et joliment vibrés. Son souffle inépuisable porte aussi ses passages offrant une pleine puissance dans le registre médian, lui permettant de tenir longuement des notes qu’il parvient à interrompre sèchement.
Sébastien Guèze et Mireille Lebel dans Werther (© Arnaud Hussenot / Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
La mezzo-soprano canadienne Mireille Lebel débute quant à elle dans le rôle de Charlotte. Sa voix lumineuse est à la fois souple et puissante, remplissant l’espace d’un vibrato battant. Sa ligne vocale, d’une grande cohérence, est très adaptée au personnage. Dans son air des lettres, elle affiche une mélancolie doublée d’une expressivité convaincante : elle frémit réellement dans un crescendo tranchant lorsqu’elle prononce les mots « Et tu frémiras ! ». En revanche, le récit de la mort de sa mère pourra, dans ses futures interprétations, gagner en émotion. Alexandre Duhamel chante quant à lui son premier Albert de sa voix brillante dans les graves et assurée dans l’aigu. Si ses phrases musicales manquent parfois de liant, sa dernière intervention est glaçante tant sa colère sourde est bien rendue. Dernière prise de rôle : celle de Léonie Renaud en Sophie. Si sa prestation scénique pétille à souhait, il manque à sa voix la légèreté pimpante du personnage, ce qui s’explique cependant d’un point de vue dramatique dans cette mise en scène : loin de l’habituelle jeune femme naïve, elle est ici clairement amoureuse de Werther dès le début de l’œuvre et cherche à le séduire. Enfin, l’expérimenté Christian Tréguier chante un Bailli (tronqué, donc) bonhomme, dont le timbre s’affine au fil des minutes.
Mireille Lebel et Sébastien Guèze dans Werther (© Arnaud Hussenot / Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
L’Orchestre national de Lorraine est brillamment dirigé par l’américain David T. Heusel. À l’exception des dernières mesures de l’acte II déjà mentionnées, ce dernier sait trouver le souffle romantique qui fait frissonner les spectateurs. Durant l’ouverture, les violons alternent la souplesse et la dureté des coups d'archets, magnifiant la partition. Les enfants, issus du Conservatoire de Metz, apportent leur fraicheur à cette production très applaudie.
Retrouvez ici notre #VidéÔlyrix intégrale de cette production.