Un Faust de Berlioz au bord des tranchées à Liège
Définie par Berlioz lui-même comme une « légende dramatique en deux parties », La Damnation de Faust constitue un défi à la mise en scène, qui a connu des fortunes diverses, ainsi qu'en peut témoigner la production confiée à Alvis Hermanis la saison dernière à Bastille (lire notre compte-rendu), quelques mois après une autre lecture non moins discutée, celle de David Marton à Lyon. A la vue du rideau habillé de projections vidéographiques, le spectateur peut déjà se faire une idée sur cette production de Ruggero Raimondi pour l'Opéra Royal de Wallonie, qui privilégiera l'image au théâtre. Il faut bien admettre qu'à l'inverse d'usages ancrés dans la tradition, le livret conçu par le compositeur avec Gandonnière à partir de la traduction de Nerval de la première partie du Faust de Goethe dessine d'abord des tableaux, plutôt que des situations.
La Damnation de Faust par Ruggero Raimondi (© Lorraine Wauters / Opéra Royal de Wallonie)
C'est ainsi que le décor métallique à trois niveaux élaboré par Daniel Bianco s'efface rapidement derrière l'alchimie de vidéos -rehaussée par les lumières d'Albert Faura- comme autant de fantasmes poursuivis par le héros depuis son cabinet de savant. Les régiments que fait défiler la Marche hongroise ne gardent pas longtemps le pacifisme de parade et s'accompagnent d'obus et de tranchées : l'évocation de 14-18 ne saurait être plus en situation dans une région particulièrement meurtrie par des combats dont on commémore actuellement le centenaire, le tout appuyé par une péroraison qui cède, un peu et très passagèrement, aux décibels excessifs. L'arrivée d'un Méphistophélès que le costumier Jésus Ruiz a voulu à cape noire invite ensuite dans une taverne d'Auerbach à l'enseigne d'un visage monstrueux puisé chez Bosch, et où s'illustre le Brander équilibré de Laurent Kubla, avec sa chanson du rat.
Nino Surguladze dans La Damnation de Faust (© Lorraine Wauters / Opéra Royal de Wallonie)
Après le songe où il voit Marguerite, dont Méphistophélès tient le portrait collé sur un miroir pendant que le Docteur sommeille, Faust rejoint la maison de la bien-aimée, immobilisée dans un doux crépuscule. Si l'on ne peut échapper aux chevaux haletants en noir et blanc pendant la course fatale, le Pandémonium fait contraster le rouge infernal des figurants et la toile vidéo bleu nuit parsemée de squelettes, avant l'épilogue où un homme en fauteuil est poussé vers les coulisses : sans doute Faust, victime de l'imagination jusqu'à la paralysie. Ne reste plus que Marguerite pour monter vers la lumière de la rédemption -ultime usage de l'armature métallique- accompagnée par la voix céleste de Réjane Soldano.
Ildebrando d'Arcangelo dans La Damnation de Faust (© Lorraine Wauters / Opéra Royal de Wallonie)
Remplaçant Marc Laho initialement prévu, Paul Groves témoigne de son indéniable expérience en Faust, qu'il assume admirablement, jusque dans une diction sans reproches : son incarnation nuancée irradie sans peine le plateau. La Marguerite de Nino Surguladze se révèle plus à l'aise dans son second air, D'amour l'ardente flamme, que dans la Ballade du roi de Thulé, moins favorable à l'épanouissement de sa ligne vocale. D'une noirceur qui n'altère pas trop l'intelligibilité, Ildebrando d'Arcangelo contraint son Méphistophélès dans une émission à la séduction très nasale, d'abord soucieuse de son impact. Préparés par Pierre Iodice, les chœurs remplissent efficacement leur office. Quant à la direction de Patrick Davin, elle privilégie une certaine prudence dans les tempi, pour mieux mettre en évidence l'originalité des couleurs et des textures, quitte à émousser certains effets.