Edgar de Puccini, entre feu et glace à Nice
En cette année marquant les 100 ans de la mort de Puccini, l’Opéra de Nice propose le rare Edgar, créé en 1889 : un deuxième opus opératique qui ne parvint alors pas à renouveler le succès connu par le premier, Le Villi, cinq ans plus tôt. L’opéra en quatre actes (version présentée aujourd’hui, qui offre l’avantage d’offrir une plus grande profondeur aux deux personnages féminins) est alors retravaillé pour aboutir à une version en trois actes, qui ne masque hélas pas les défauts dramaturgiques de l’œuvre. Il s’agit d’ailleurs là de la dernière collaboration du compositeur avec le librettiste Ferdinando Fontana : Luigi Illica et Giuseppe Giacosa offrent ensuite à Puccini les intrigues de quatre de ses plus grands chefs-d’œuvre. Il faut dire que pour cette version raccourcie, Puccini coupe dans les deux derniers actes. Or, le III est de loin le plus abouti (et le plus applaudi à Nice), tandis que de nombreuses longueurs subsistent dans les deux premiers. Mais là n’est pas l’essentiel : malgré les défauts du livret, Puccini parvient à exprimer son génie. La partition livre des pages d’une grande puissance expressive, une riche orchestration et des chœurs exceptionnels. L’ouvrage fait écho à la Messe de Gloire composée 10 ans plus tôt, et annonce déjà ses plus grands succès (surtout dans cette version pour deux sopranos, la pure Fidelia et la fougueuse Tigrana préfigurant Mimi et Musetta).
La mise en scène de Nicola Raab choisit d’aller à l’essentiel, traduisant scrupuleusement le livret dans un décor unique (signé Georges Souglides). La démarche a l’avantage de permettre d’apprécier l’œuvre, que la quasi-totalité du public découvre, nue et sans surinterprétations. Elle appuie toutefois sur les défauts du livret, sans les corriger. Ainsi, sa direction d’acteurs reste-t-elle par exemple extrêmement statique lorsque l’intrigue s’enlise, ce qui renforce l’impression d’ennui provoqué par ces passages. L’esthétique reste en revanche soignée, notamment grâce aux lumières de Giuseppe di Iorio.
Dans le rôle-titre, Stefano La Colla garde un certain détachement vis-à-vis de son personnage dans lequel il ne semble pas tout à fait entrer. C’est d’ailleurs lorsqu’il est caché sous une capuche, déguisé en moine, que son chant se montre le plus convaincant. Son timbre méditerranéen est chaud et corsé, son souffle long, mais sa ligne manque régulièrement de précision.
En Fidelia, Ekaterina Bakanova impressionne par son lyrisme brillant, sa voix épaisse et sa diction soignée. La ligne vocale est construite avec sensibilité, ce qui la rend touchante. La densité de son émission se traduit dans l’expressivité de ses nuances et dans la chaleur de ses piani. Elle accompagne son chant aux riches médiums et aux graves structurés d’une interprétation scénique très fine et émouvante, qui lui vaut un déluge d’applaudissements lors des saluts finaux.
En Tigrana, Valentina Boi s’appuie sur une voix aux graves voluptueux et chauds ou sur des aigus ciselés, mais l’instrument manque hélas globalement de volume : elle ne parvient pas à faire réellement exister son personnage, d’autant que ni son costume sage ni son jeu d’actrice ne la posent comme l’irrésistible séductrice qu’elle est supposée être, et qui entraîne Edgar aux portes de l’enfer.
Dalibor Jenis campe un fier Frank, par son baryton bien ancré autant que par son jeu qui donne au personnage une évolution intéressante. Sa voix est joliment couverte et doucement vibrée.
Gualtiero est supposé, selon le livret, avoir « la voix tremblante d’un père ». L’instrument de Giovanni Furlanetto est pourtant solide, quoique son timbre grisonnant parvienne à caractériser l’âge de son personnage.
La direction musicale de Giuliano Carella à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Nice est tour à tour légère ou profonde et dense. Le Chœur de l’Opéra de Nice n’est pas parfaitement ensemble (surtout parmi les pupitres féminins) ce qui lui donne un son mat. Mais il reste constamment éloquent, puissant et expressif, les basses apportant pour leur part une jolie intervention. Il est accompagné du Chœur d’enfants de l’Opéra de Nice, gracieux et candide.
Le public accueille chaleureusement l’ensemble des artistes de la production, à commencer par Ekaterina Bakanova, Stefano La Colla et le chef Giuliano Carella. Les hommages pucciniens se poursuivront ensuite à Liège avec la création de Pucciniana d’Andrea Battistoni en hommage au compositeur.