Un Mariage secret au Pays de Candy
Domenico Cimarosa présente Le mariage secret (Il Matrimonio segreto) le 7 février 1792 : Mozart est mort quelques semaines plus tôt et Rossini naîtra quelques jours plus tard. La musique de son opéra est ainsi une référence permanente à ce qui fut : comment ne pas penser aux Noces de Figaro en écoutant les lignes vocales et le caractère piquant dévolus au personnage de Carolina ? Le librettiste, Giovanni Bertati, remplaça d’ailleurs da Ponte au prestigieux poste de Poète Impérial de Vienne, et il rédigea un Don Giovanni quelques années avant le librettiste de Mozart. L’œuvre fait également référence à ce qui sera : de nombreux passages anticipent clairement la composition de La Cenerentola, comme le duo entre le Comte et Geronimo qui devance celui de Dandini et Don Magnifico. Sur la fin, lorsqu’Elisetta et Fidalma s’allient, elles se comportent comme les deux sœurs Tisbe et Clorinda dans l’œuvre de Rossini. Ces deux ouvrages ont d’ailleurs été étiquetés par les compositeurs respectifs comme des dramma giocosi, des drames joyeux.
Il Matrimonio segreto par Cordula Däuper (© Opéra national de Lorraine)
La mise en scène de Cordula Däuper navigue avec brio entre le kitsch et l’absurde, dans un univers faisant référence aux jouets d’enfants et aux dessins animés. Le décor signé Ralph Zeger est une maison de poupée rose bonbon tournant sur elle-même (rappelant en cela la scénographie du Barbier de Séville de Damiano Michieletto) dans laquelle les accessoires sont disproportionnés, comme le sont les jeux d’enfants : la table a la taille d’un banc tandis que le cheval à bascule est plus grand que ses cavaliers. Les gâteaux dont se gavent les personnages, ou les fleurs qu’ils arrosent, sont en plastique. Les costumes de Sophie du Vinage sont fidèles à cet esprit : Carolina est par exemple la réplique du personnage de Candy. Tous (et les habits de nuit en particulier) sont conçus avec une grande dose d’humour. Les deux sœurs prennent d’ailleurs régulièrement des postures de poupées de chiffon qui auraient été négligemment jetées au sol. Chaque geste est travaillé, voire chorégraphié, pour rappeler la rigidité d’un Playmobil (une citation de l’air d’Olympia dans les Contes d’Hoffmann est d’ailleurs opportunément placée par le piano forte) ou la gestique outrée d’un personnage de dessin animé. La mise en scène regorge d’idées toutes plus surprenantes et drôles les unes que les autres. Cela permet de dynamiser une œuvre non dépourvue de longueurs et d’éviter tout sentiment de « déjà vu ». Les portes qui claquent dans un tourbillon visuel placent résolument l’œuvre, dont l’intrigue est sensée durer une longue journée (figurée par les éclairages précis de Hans-Rudolf Kunz) -si longue, d’ailleurs, qu’une grossesse y tient toute entière !- dans un style vaudevillesque tout à fait adapté.
Il Matrimonio segreto par Cordula Däuper (© Opéra national de Lorraine)
L’intrigue suit le Comte Robinson qui, devant s’unir à Elisetta, la fille de Geronimo, décide finalement d’épouser sa sœur Carolina. Mais celle-ci est secrètement mariée à Paolino, dont est également éprise Fidalma, la sœur de Geronimo dont la fortune fait vivre la famille. Lilian Farahani interprète Carolina d’une voix fine et agile. Sa prosodie met en valeur le texte et les intentions du personnage. Son travail théâtral est très abouti, tant dans sa démarche engoncée que dans ses postures ou ses expressions faciales. Sa sœur prend les traits de Maria Savastano dont le travail scénique est également très drôle : elle déploie une grande énergie dans le mime et une gestique saccadée, prenant des allures renfrognées. La soprano dispose d’une voix ronde au timbre corsé et d’aigus virevoltants, magnifiés par un vibrato léger et régulier.
Il Matrimonio segreto par Cordula Däuper (© Opéra national de Lorraine)
Le Comte Robinson s’incarne en Riccardo Novaro. Le baryton au sourire enjôleur, affublé d’une perruque blonde au large épi récalcitrant, offre un timbre doux et velouté, mais, la voix serrée, il manque de puissance et se trouve souvent couvert par l’orchestre ou par ses partenaires. Très à l’aise scéniquement, il propose un jeu volubile et réjouissant, et ce dès sa première apparition muette. Le jeune Anicio Zorzi Giustiniani chante son ami mais néanmoins rival, Paolino, avec des airs juvéniles. Sa voix est claire, ses aigus limpides et ses vocalises fluides.
Il Matrimonio segreto par Cordula Däuper (© Opéra national de Lorraine)
Enfin, Donato di Stefano chante Géronimo, le père de famille qui correspond à un rôle de basse-bouffe classique. Habitué de ce répertoire, il offre un jeu abouti et des mimiques justes et variées. Moins à l’aise lorsque le débit s’accélère, il oblige le chef à prendre un tempo peu allant pour sa première intervention, ce qui provoque un manque flagrant de rythme dans le passage qui précède. Si ses graves sont parfois forcés, il offre les aigus et les médiums éclatants attendus de cette typologie de personnage. Sa prosodie dans les nombreux récitatifs marque son expérience : il parvient à insuffler du rythme et des intentions. Cornelia Oncioiu est la tante Fidalma. Elle souffre rythmiquement sans que le chef ne parvienne à anticiper ni rattraper ses écarts. Son vibrato est particulièrement ample. Sa voix puissante, portée par un souffle maîtrisé, ressort dans les ensembles.
Il Matrimonio segreto par Cordula Däuper (© Opéra national de Lorraine)
Le chef Sascha Goetzel peine à assurer la cohérence rythmique au sein de la fosse et entre l’orchestre et la scène. Le travail sur les ensembles, nombreux dans cet opéra n’offrant que peu d’arias et aucun chœur, n’assure pas systématiquement l’homogénéité requise entre les solistes, les voix aiguës étouffant parfois les basses. Il dirige en revanche de belles pages, faisant chanter et tressauter les flûtes et lanciner la clarinette, dans un style tout à fait mozartien. Il révèle également les sentiments des personnages en aménageant des pages intimistes et éloquentes. Le continuo est inspiré et rythme parfaitement la soirée. Le piano forte qui le compose, installé sur scène, raccroche l’œuvre, par des citations de la trilogie Mozart-da Ponte, aux sources d’inspiration du compositeur.
Le travail précis de mise en scène se traduit par des saluts travaillés, prolongeant l’histoire et les rires des spectateurs satisfaits.