Juditha triumphans : l'héroïsme vécu et chanté à Versailles
Sous les fresques de la coupole et les balcons dorés de l'Opéra royal de Versailles, le King's Consort ne peut trouver lieu plus seyant acoustiquement et plus adapté à sa dénomination. Alors que le public se prépare tranquillement à écouter le drame liturgique, le fondateur et chef de l'ensemble baroque, Robert King, survient pour annoncer quelques changements notables : la mezzo-soprano suédoise Malena Ernman étant souffrante, le rôle-titre est tenu par Marianne Beate Kielland, initialement Holopherne, tandis qu'Emilie Renard s'ajoute à la distribution pour prendre le rôle du tyran.
Bien que dénué de toute mise en scène, l'oratorio Juditha triumphans révèle dès l'ouverture un contenu dramaturgique parfaitement rendu par sa tournure musicale et le déroulé visuel choisi par Robert King : aux premiers roulements de timbales, les lumières s'allument, les portes s'ouvrent de chaque côté de la scène laissant entrer de manière croisée les chanteurs du chœur et les solistes sur fond du rideau moucheté de fleurs de lys. Avec des interjections guerrières parfaitement articulées, le chœur incarne des Assyriens vigoureux, portés par les descentes entraînantes d'une ouverture de type concertant (Vivaldi s'inspire en effet des deux premiers mouvements du concerto RV 555 pour la composer). Sous les gestes amples et la verve sans excès de Robert King, le consort instrumental rayonne de dynamisme, façonnant de vives phrases musicales.
Aux riches couleurs baroques émanant des théorbes, archiluths et violes anglaises se joignent celles des chanteuses dont le panel étendu de timbres vient apporter un caractère singulier à chaque personnage de l'histoire biblique. Ne choisissant que des chanteuses, Robert King rejoint ainsi la version d'origine composée pour les jeunes filles de l'orphelinat vénitien, l'Ospedale della Pietà.
Marianne Beate Kielland (© Lena Lahti)
Initialement choisie pour chanter Holopherne, la mezzo-soprano Marianne Beate Kielland incarne à merveille une Judith subtile et pleine de sensibilité. Dès son premier air, « Quo cum Patriae me ducit amore », elle surprend par la teinte ronde et épaisse de sa voix. Regardant à peine ses partitions, elle joue son rôle de manière éloquente, à force de mimiques suppliantes vers Holopherne dans « Quanto magis generosa ». Uniquement accompagnée de la viole d'amour et des violons solo en sourdine, les graves vibrants de sa voix rendent d'autant plus saisissante la sincérité de son jeu. La chanteuse norvégienne est tout aussi remarquable dans les allegri : ses vocalises tournoyantes évoquent parfaitement « l'hirondelle vagabonde » qui cherche à fuir l'invitation expresse du tyran. La douceur grappée de son timbre si assortie aux trilles du chalumeau dans l'air « Veni, veni, me sequere fide » se métamorphose en cri rauque, presque arraché lorsqu'elle décrit la mort d'Holopherne, qu'elle décapite elle-même.
Émilie Renard nous offre d'abord un Holopherne réservé, découvrant une voix peu puissante dans les graves et parfois même couverte par l'orchestre. Mais elle se distingue très vite par la netteté et la densité de ses vocalises. Aux côtés d'une Judith majestueuse, elle incarne un tyran déterminé et sûr de lui. Son jeu plein d'intelligence perce dans l'air « Nox obscura tenebrosa » qu'elle interprète avec un petit sourire en coin. Dans un dernier chant aux allures de sérénade, « Noli a cara te adorantis », Émilie Renard fait montre de vocalises denses et sonores, le tout au son d'un hautbois langoureux.
Émilie Renard (© Raphaella photography)
De part et d'autre des rôles guerriers se placent Vagaus, l'auxiliaire d'Holopherne et Abra, la servante fidèle de Judith. La soprano anglaise Julia Doyle prête une voix fine à Vagaus, semblable à la teinte dorée du pincement des cordes de théorbe. Bien qu'arborant un timbre peu projeté, la chanteuse surprend tantôt par ses aigus pointés et fruités dans « In tentorio supernae », tantôt par ses syllabes martelées dans « Armatae face », laissant entendre sa rage devant la mort de son maître.
Julia Doyle (© Raphaëlle Photography)
De son côté, Gaia Petrone chante une Abra pleine de caractère. À l'allure presque rebelle, la mezzo-soprano italienne révèle une technique parfaite tout en vivant physiquement son rôle : dans l'air « Non ita reducem progeniem noto », elle suit le rythme vigoureux de l'orchestre en secouant la tête, remuant les épaules, prête à danser.
Gaia Petrone (© DR)
N'apparaissant qu'en seconde partie, la contralto Hilary Summers, est parfaitement choisie pour chanter le rôle du prêtre Ozias. Sa voix au grain ancien et son jeu solennel offrent une teinte archaïque aux prières chantées en récitatif.
La victoire de Judith éclate au son des « Vivat » du chœur constamment présent sur scène, incarnant tantôt l'armée assyrienne, tantôt le peuple juif. Aux retentissements des trompettes se joignent les clameurs des applaudissements redoublés et même martelés par le public, visiblement séduit par ce triomphe.
Le prochain événement à Versailles sera La Cenerentola de Rossini avec Cecilia Bartoli : des places sont disponibles à cette adresse.