Coup de jeune pour L’Ancêtre de Saint-Saëns à Monaco
Fidèle à sa mission, le Palazzetto Bru Zane continue de redécouvrir, enregistrer et faire produire les œuvres rares (ou les œuvres connues dans des versions rares) du répertoire romantique français. C’est cette fois à Monaco, où l’œuvre fut créée, que leurs valises se posent, pour représenter en concert avec l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo L’Ancêtre de Saint-Saëns, qui sortira en livre-disque dans un an.
L’œuvre ainsi présentée au public est musicalement très riche. C’est l’ouvrage d’un compositeur mature (il a 71 ans au moment de la création) et plein d’audace. Plusieurs pages, notamment d’ensembles et de chœurs, sont particulièrement marquantes, à l’image du quatuor de l’acte III dans lequel le couple Tebaldo/Margarita est épié par Nunciata et Vanina qui envisagent leur coup fatal (dans une sorte de clin d’œil au quatuor de Rigoletto). Le livret, qui plonge au cœur d’une vendetta corse, reprend des recettes déjà employées (l’amour impossible entre deux clans rivaux rappelle bien sûr Roméo et Juliette, quand le coup vengeur tuant sa descendance n’est pas sans rappeler, là encore, Rigoletto) mais qui restent efficaces. Son défaut majeur réside dans la faible épaisseur donnée aux personnages, auxquels le spectateur s’attache finalement trop peu pour être vraiment bouleversé par leur sort.
Alors que l’ermite Raphaël cherche à apaiser les tensions entre deux clans ennemis, l’Ancêtre Nunciata refuse la paix proposée. Elle envoie son petit-fils Léandri tuer Tebaldo, mais ce dernier sort vainqueur de leur combat. Elle arme alors la main de sa petite-fille Vanina, qui renonce au dernier moment à tuer le jeune homme, qu’elle aime (mais qui aime sa sœur Margarita). Elle se décide donc à porter le coup fatal elle-même, mais son tir atteint finalement sa propre descendante.
Le chef Kazuki Yamada dirige la phalange monégasque, dont il est Directeur musical, d’une gestique large et verticale. Les musiciens répondent avec précision et musicalité à ses indications. La musique est souvent figurative, à l’image de l’ouverture laissant entendre des bruits de la campagne, ou bien l’air de l’Ermite accompagné d’un bourdonnement d’abeilles illustrant son propos littéralement. Le paysage champêtre décrit par la partition en introduction de l’acte III est délicieusement dépeint par les bois. Le chef s’entoure pour l’occasion du Chœur Philharmonique de Tokyo qui étonne par la qualité de sa diction française. Le chœur d’entrée est notamment très richement composé, faisant se croiser les lignes des pupitres aigus, dans un élégant survol des voix plus graves. Le requiem (dédié à Léandri) qui est au cœur de l’acte II est chanté avec douceur et profondeur.
L’ensemble du plateau vocal offre une diction précise du français. Jennifer Holloway se charge du rôle-titre d’une voix dure, d’un fer rouge, émise avec un visage fermé, ce qui correspond parfaitement au personnage miné par la haine, décidée à se venger de ses ennemis, jusqu’à tuer sa propre petite-fille par inadvertance.
Gaëlle Arquez interprète Vanina, la jeune femme aux amours déçues, et victime finale de la vendetta menée par sa propre grand-mère. Sa voix voluptueuse dispose d’une douceur crémeuse jusque dans des aigus nourris, qui sied à la bonté d'un personnage n'hésitant pas à se sacrifier pour sauver l’homme qu’elle aime (pourtant sans réciprocité). Son chant est nuancé (mais laisse entendre un beau volume quand nécessaire), incarné, articulé, bercé d’un vibrato vif.
Hélène Carpentier chante sa sœur, Margarita, d’une voix bien émise et très vibrée. Ses aigus bénéficient notamment de grands élans lyriques, épanouis. Ses vocalises joyeuses et insouciantes sont articulées avec fluidité.
Le ténor Julien Henric s’empare du rôle de Tébaldo de sa voix haut placée, au timbre tendre de jeune amant jusque dans des aigus aisés, et au vibrato bien présent. Son phrasé est délicat, sur le fil et en nuances.
Le jeune baryton Michael Arivony interprète l’ermite Raphaël, d’un beau timbre corsé et chaleureux, ferme dans les graves et au phrasé noble et soigné de vieux sage. Son émission reste toutefois encore un petit peu tendre pour ressortir pleinement dans les ensembles.
Matthieu Lécroart se montre intraitable en Bursica, lançant sa voix de pierre comme une fronde, d’un timbre sombre mais riche. Comme toujours, il veille à ce que son phrasé reflète le sens de chaque mot.
La fin de la partition ne tire certes pas de larmes, mais elle est délicate, triste, charmante, avec une lueur d’espoir. Elle donne envie aux spectateurs d’attendre l’enregistrement qui permettra de mieux s’approprier les belles pages de musiques composées par Saint-Saëns.