Lorrie Garcia et Marion Liotard : « Fémina » à l'Opéra Grand Avignon
Dans l’intimité de la petite Salle des Préludes, les deux artistes proposent un récital au programme éclectique allant de l’opérette à la chanson française en passant par le tango, la mélodie ou encore le grand opéra romantique. Sont ainsi donnés entre autres l’Habenera de Carmen, "Oh ! La pitoyable aventure !" de L'Heure espagnole, "Somewhere over the rainbow" du Magicien d’Oz, Mes hommes de Barbara et J’ai deux amours de Joséphine Baker.
Comme indiqué dans le titre du programme, la soirée est dédiée aux femmes. ("Femmes" est d’ailleurs l’intitulé de la saison actuelle de l’Opéra Grand Avignon). Elles peuvent être compositrices des extraits présentés (Pauline Viardot, Mel Bonis, Clara Schumann…), chanteuses (Judy Garland, Edith Piaf…) ou personnages célèbres reconnus pour leur liberté, leur force ou leur détermination (Dalila, Périchole, Carmen…). La part belle est aussi faite à la langue française dans laquelle est écrite l’ensemble des morceaux chantés à une exception près, "Yo soy Maria" issu de Maria de Buenos Aires. Quelques interludes de piano seul sont insérés entre les parties qui, en plus de permettre quelque repos pour la voix de la chanteuse dans ce concert sans entracte, sont l’occasion pour Marion Liotard de dire quelques mots sur la vie de leurs compositrices et notamment de la pression patriarcale qui a pu à leurs époques respectives, réfréner l’expression de leur art.
Lorrie Garcia anime son récital. Elle transmet au public : tant par les inflexions de son chant que par son charisme. Les auditeurs suspendus à ses lèvres s’alanguissent ainsi dans le bouleversant « Mon cœur s’ouvre à ta voix » où la chaleur du timbre se mêle aux poussées d’aigus aussi vives qu’intenses. Le « Yes, Yes ! » de Maurice Yvain (donné en rappel) illumine l’assistance de sourires quasi unanimes et des applaudissements spontanés viennent appuyer la fin de Milord.
En plus de l’énergie que la contralto met dans son jeu et ses mimiques (elle n’hésite pas à faire même quelques pas de danse pour clôturer Mes hommes de Barbara), l’expressivité se retrouve aussi dans la voix. La rupture par un contraste fortissimo interrompant « Oh ! La pitoyable aventure ! » est ainsi saisissante. La Périchole paraît aussi charmante que le Vice-Roi la décrit avec la rondeur voluptueuse de son phrasé et la pointe d’autorité quasi professorale qu’elle met dans ses accentuations pour expliquer que les hommes sont bêtes. Elle s’adapte efficacement aux différents registres et prouve ainsi l’étendue de ses capacités. Seule l’ornementation pourrait être utilisée avec un peu plus de parcimonie pour rendre le chant plus lisible dans quelques extraits moins lyriques (« J’ai deux amours » qui ouvre le concert en particulier). Elle puise ainsi dans les couplets de la version originale de Milord de quoi instiller une tension empathique par la justesse du rythme. Le français demeure à tous moments compréhensible, permettant au public de ne pas souffrir de l’absence de livret. La diction s’adapte d’ailleurs elle aussi au registre (par exemple le roulement des [r] qui varie selon les extraits). Les passages techniques sont effectués avec virtuosité, notamment grâce à la capacité du souffle.
L’accompagnement de Marion Liotard est dynamique et contribue pleinement à faire vivre chaque morceau. Il souligne ainsi par son énergie l’espièglerie de Carmen autant qu’il souligne dans le même extrait l’ambivalence de l’amour avec des notes plus sombres. Elle aussi se fond dans les différents répertoires, rendant ainsi par exemple le tango de Piazzolla des plus entrainants en accentuant les temps forts. Les passages où elle joue seule proposent un son généreux. La Mélisande de Mel Bonis réchauffe ainsi le public d’une flamme tantôt douce tantôt presque brulante.
Ce dernier manifeste son enthousiasme par ses applaudissements tant entre les morceaux qu’à la fin du concert où certains espèrent même à haute voix un ultime rappel.