Aller à Viterbo et rencontrer Stradella
En concert d’ouverture de la session 2024, le Festival propose, dans la superbe église romane Santa Maria Nuova, l’oratorio San Giovanni Battista (1675) d’Alessandro Stradella (1643-1682), compositeur à la vie romanesque et dissolue, auteur prolifique d’opéras, de cantates et d’oratorios.
Lointain ancêtre des Salomé à venir, ce Saint Jean Baptiste (auquel elle fera perdre la tête) est une œuvre assez brève, mais très riche et variée dans son écriture, alternant récits, récits accompagnés, airs, duos, trios et chœurs, avec une grande inventivité mélodique, une ornementation virtuose au service d’une expression efficace des passions. Jean Baptiste reproche ici à Hérode (époux de la femme de son frère et amoureux de sa belle-fille) ses mœurs répréhensibles. Hérode est troublé par ses propos, mais plus encore par les pressions de son entourage, son épouse Hérodiade (la mère) et un conseiller, mais surtout par le désir irrépressible qu’il éprouve envers Salomé (ici Hérodiade-la fille). Il finit par se laisser convaincre et ordonner la mort de Jean Baptiste, mais il se retrouve saisi de remords et conclut l’œuvre dans un désarroi total, sur une question suspensive, « mais pourquoi ? ».
Le concert est proposé par le désormais bien établi Ensemble Mare Nostrum, une formation de cordes conséquente, composée de jeunes musiciens, sous la direction très chorégraphiée de son chef, Andrea De Carlo. La bonne surprise vient de l’acoustique de cette église très haute de plafond, où se déploie parfaitement le son de cet orchestre tonique, réactif, sculptant le son et les contrastes sous la direction alerte de son chef.
Les chœurs sont ici assumés par les solistes, ce qui ne contribue pas à une possible dramaturgie, pour cette version de concert. L’idée de confier les chœurs à un ensemble de solistes a toutefois sa logique, de par le traitement musical de ces parties, parfois madrigalesques, souvent écrites en imitation (même si cela interfère avec les duos et trios, confiés aux personnages). Le chœur de disciples “Dove Battista” s’en trouve en outre particulièrement expressif.
Les solistes sont assez homogènes pour ce qui concerne le format vocal, plutôt modéré ici. Hormis Hérode, tous les rôles sont chantés avec partition.
Le ténor Roberto Manuel Zangari doit assumer le rôle du conseiller particulièrement obséquieux et rampant. Sa voix très légère se fait ainsi parfaitement monochrome et sirupeuse à souhait. Elle demeure bien projetée et la prononciation très claire témoigne de son implication.
Dorota Szczepańska possède une voix de soprano vers le lirico léger, nourrie dans le medium et sur des graves subtilement poitrinés à l’occasion. Elle incarne avec une conviction touchante Hérodiade-Mère, personnage à la fois pervers et effacé derrière les intérêts de sa fille.
Dans le rôle d’Hérodiade-Fille (Salomé), Silvia Frigato déploie un engagement sincère, avec conviction, et même une énergie folle, avec force gestes et expressions du visage. Ces expressions semblent d’abord servir l’incarnation de ce rôle très exigeant, développé, écrasant. Elles viennent toutefois permettre, en raison de son format vocal modéré, l’émission de ses graves et de ses aigus (vers quelques stridences dans les suraigus), les premiers malheureusement ternis et les seconds manquant de couleurs. La prononciation est cependant parfaite et le public ne peut que saluer, parmi l’exigence de ce rôle, l’aria d’une extrême virtuosité “Sù coronatemi” (Allons, couronnez-moi), air de séduction dont elle vient à bout d’une manière sportive.
Le contre-ténor Danilo Pastore incarne Giovanni Battista, avec une voix très déployée, tendresse de timbre et qualité de prononciation. D’une présence quasi magnétique qui capte l’attention efficacement, il sait rendre les divers aspects du personnage, de l’imprécateur qui énonce la loi et qui menace, au saint martyr qui accueille la mort sereinement. La voix est cependant un peu faible dans le bas medium et il est quelque peu à la peine dans les vocalises graves du duo avec Hérodiade-Fille “Uccidetemi pur” (Tuez-moi donc).
Masashi Tomosugi prête sa voix de basse à Hérode, ce roi désorienté, écartelé entre pulsions et raison, entre passions et devoir. Chantant son rôle par cœur, il atteint de hauts degrés d’incarnation et d’interprétation. La voix est audible même dans les sons les plus graves. Son visage incroyablement plastique adopte à ravir les nuances des passions représentées.
L’enthousiasme général des artistes aura su convaincre le public, conquis et debout pour les saluer.