L’Arcadie s’invite au Festival de Rocamadour
Le titre du concert « Et in Arcadia ego » est un célèbre memento mori de la Renaissance qui aura connu une longue fortune, aussi bien en peinture qu’en littérature et même en musique. Même dans la riante Arcadie, monde pastoral et idyllique, la mort peut surgir. C’est le thème du livre-poème de Jacopo Sannazaro, duquel ont été tirés les madrigaux donnés à entendre ce soir. Le programme du concert se conçoit comme un cycle, autour d’une seule et même œuvre mise en musique par plusieurs compositeurs italiens : Claudio Monteverdi, Salomone Rossi, Luca Marenzio, Sigismondo d’India et Giaches de Wert (flamand, mais dont la carrière s’est déroulée en Italie).
L’abbatiale Sainte-Marie de Souillac offre un cadre de choix. Son acoustique amplifie bien le petit ensemble instrumental mais s’avère plus difficile avec les voix, surtout dans le registre bas. Malgré leur investissement vocal, Jimmy Holliday (basse) et Martha McLorinan (alto) peinent à se faire entendre. C’est également le cas pour Benedict Hymas (ténor I) dont le médium grave se perd dans les résonances du lieu, quand son aigu est net et timbré. La voix de Tore Tom Denys (ténor II), plus tranchante et lumineuse, est bien audible en revanche, tout comme celles des deux sopranos. Miriam Allan s’illustre par son émission très pure, au long phrasé soyeux. Celle de Barbora Kabatková sonne plus ronde et chaleureuse. Les pièces chorales sont en tout cas d’une précision remarquée dans l’harmonisation des voix. Sur les passages fugués, les interprètes savent admirablement retarder leur vibrato sur les notes tenues, préparant ainsi l’entrée de leurs collègues. La minutie et l’expertise de Philippe Herreweghe y sont assurément pour quelque chose. Sa battue est sobre, mais très investie.
La même impression de cohésion se dégage de l’ensemble instrumental. Si les cordes (Sophie Gent et Sonoko Asabuki aux violons, Ageet Zweistra au violoncelle) apparaissent très appliquées et expressives, l’instrument qui se démarque reste le cornet à bouquin de Lambert Colson, dont la sonorité cuivrée, légèrement pincée, irradie sur chacune de ses interventions. Il peut aussi se révéler plus mélancolique sur de longs phrasés modulés. Derrière lui, le trombone de Bart Vroomen sourd en vibrant dans l’église. Jonas Nordberg livre également une prestation remarquée au théorbe, déversant ses arpèges avec délicatesse. Enfin, au clavecin, Maude Gratton démontre une dextérité et une énergie spectaculaire, ainsi qu’une riche palette de nuances. C’est elle qui, sur l’avant-dernier morceau, conclut par un solo émouvant, decrescendo jusqu’au silence, d’un dramatisme très accompli. Puis l’ensemble au grand complet reprend au son enjoué du dernier morceau Tirsi e Clori de Monteverdi, célébrant la réunion des amoureux.
La menace de la mort n’aura finalement été que passagère. L’Arcadie résonne à nouveau de chants et de danses, à la plus grande joie du public qui offre une ovation enthousiaste.