Harmonies d’Arménie avec Eva Zaïcik au Festival de Rocamadour
Il s’agissait d’une invitation au voyage. Une invitation à la découverte d’une culture musicale, entre Orient et Occident, avec des traits bien particuliers (polyrythmies, polytonalité, écriture modale), à travers des œuvres d’Aram Khatchatourian, Sogomon Komitas, Hakob Aghabab et le contemporain Garbis Aprikian. Le programme offre un panorama diversifié, alternant berceuses et chants d’amour, mélodies populaires et complaintes, telles que le poignant lamento de Garbis Aprikian, Mayrig, qui a donné son nom au récital. Ce dernier reprend de nombreux morceaux déjà présents dans l’album du même nom récemment enregistré par les trois interprètes.
Un feuillet glissé dans le programme indique un changement dans l’ordre des morceaux ainsi que quelques suppressions, sans doute pour terminer le récital dans les temps (un autre concert ayant lieu dans la foulée à Souillac, en compagnie de Philippe Herreweghe et du Collegium Vocale Gent). Eva Zaïcik introduit certaines pièces par une traduction en français. Pour une voix virtuose comme la sienne, ce répertoire propose peu de fioritures et peu de passages dans l’aigu.
Les mélodies, construites sur des intervalles brefs, mobilisent plutôt le médium grave. Mais la simplicité n’est qu’apparente : les phrases sont longues et complexes, serties de chromatismes et modulations inattendues. La chanteuse s’y montre tout à fait à son aise, avec un visage toujours ouvert à l’émotion et une remarquable précision de chant. Le phrasé est déroulé sur un timbre à peine vibré, tantôt caressant, tantôt mélancolique, et même espiègle dans la dernière pièce du programme Petite suite nuptiale – Scherzo de Garbis Aprikian.
La même apparence de simplicité se retrouve dans l’accompagnement au piano de certaines chansons, à travers des motifs rythmiques répétés et accélérés, auxquels Xenia Maliarevitch confère une grande intensité. À l’inverse, les morceaux instrumentaux, notamment les danses de Khatchatourian, comportent des exemples de polyrythmie étourdissants, que la pianiste aborde avec le plus complet naturel. Son touché très vif évoque parfois des cordes pincées.
Du côté du violon, la virtuosité est également de mise avec le jeu très atypique de David Haroutunian. Si certaines sonorités rappellent des musiques d’Europe centrale, d’autres sont encore plus dépaysantes. Par exemple, un timbre granuleux obtenu par un léger brossage latéral de l’archet ou encore des aigus cristallins à peine effleurés sur les cordes. L’interprète démontre par ailleurs un lyrisme poignant, comme sur le morceau Krunk du Père Komitas. Cette pièce instrumentale très endolorie sera l’une des plus applaudies par l'assistance.
Le programme terminé, il reste peu de temps pour un bis. Les trois interprètes offrent tout de même en guise de remerciement une magnifique berceuse traditionnelle arrangée par Parsegh Ganatchian, d’ailleurs annoncée sur le programme d’origine. Il aurait été vraiment dommage de s’en priver.