Gabriel Fauré et Thomas Lacôte en Répons au Festival de La Chaise-Dieu
Cette création mondiale de Répons du Baptême de Thomas Lacôte est le fruit d’une commande conjointe des Siècles et de Boris Blanco, directeur du Festival de La Chaise-Dieu. Ce dernier souhaite en effet initier des commandes d’œuvres sacrées à des compositeurs contemporains afin de les coupler à des ouvrages du répertoire. Les commémorations des 100 ans de la disparition de Gabriel Fauré permettent à double titre de franchir le pas.
Les contraintes imposées (souvent sources de créativité) à Thomas Lacôte étaient de fait multiples : mobilisation du même effectif que pour le Requiem et présence de deux solistes vocaux, tout en restant dans l’esprit de la version chambriste de 1893 telle qu’elle fut alors créée en l’église de la Madeleine. Le compositeur-organiste contemporain s’est simplement permis de remplacer l’orgue par le célesta tout en intégrant un second percussionniste plus spécifiquement chargé d’instruments supplémentaires comme des cloches, des gongs qui prennent une place déterminante dans la partition. Il ne s’agissait aucunement dans l’esprit des commanditaires de livrer un autre Requiem, mais bien de chercher une autre thématique complémentaire jusqu’ici peu développée au sein de la musique sacrée : celle du baptême.
Les deux extrêmes de la vie chrétienne se rencontrent ainsi et se répondent à même hauteur de vue. D’une durée de 45 minutes, Répons du Baptême se trouve divisé en 10 morceaux successifs, allant de parties instrumentales seules, de moments spécifiques destinés aux seuls solistes et de parties chorales. Les interventions du Chœur apparaissent particulièrement ardues, allant du chuchotement par vagues successives aux éclats plus sonores, ponctuées d’interventions très brèves de certains artistes de l’ensemble.
Le climat d’ensemble vise bien au recueillement et à la méditation. Cette musique aux puissantes harmonique déploie comme une ambiance un rien mystérieuse, mais qui demeure accessible et capte toute l’attention du public. Elle offre au violon un passage en seconde partie fort virtuose, tandis que la harpiste se retrouve à plusieurs moments au tout premier plan. Entre textes en latin ou en français par Paul Claudel ou de traduction plus récente d’Olivier Cadiot, et même en superposition des deux, les interrogations mystiques émanent des interventions du baryton et de la soprano. La figure d’un des premiers disciple de Jésus, Nicodème, se trouve par ailleurs largement évoquée dans un récit évangélique très prenant incombant au baryton.
Thomas Lacôte, successeur d’Olivier Messiaen comme titulaire du Grand Orgue de l’église de la Trinité, livre ici une partition foisonnante et réellement contemporaine, se déclinant respectueusement du Requiem de Gabriel Fauré sans jamais l’imiter ou tenter de l’assourdir. Le moment le plus émouvant de cette partition appartient à la scène même du baptême, durant laquelle des water gongs plongés dans l’eau résonnent par intermittence tandis que le violon, de toute sa virtuosité, magnifie le nouveau baptisé.
Mathieu Romano connaît le Requiem de Fauré dans ses moindres interstices pour l’avoir maintes fois dirigé et même enregistré. En l’Abbatiale de la Chaise-Dieu, il fait le choix d’une direction musicale presque réservée, basée sur l’intimité et le recueillement.
L’Orchestre Les Siècles se montre là aussi égal à sa réputation d’excellence, en tout point résilient dans la dynamique et le cap qu'il continue de garder. Mais cette sobriété affirmée et choisie par la direction peut assurément laisser un peu sur sa faim après l’exécution de Répons du Baptême en première partie de soirée. Le tempo alangui élague certes tous pathos, mais ainsi l’émotion peine à paraître et à se traduire dans les faits.
Pourtant, à la tête de l’Ensemble vocal Aedes et de celui orchestral Les Siècles, Mathieu Romano s’est lancé à corps perdu dans cette belle aventure, mais en impulsant un rythme précis à la partition, lui conférant toute son unité de ton et soulignant à propos toutes ses caractéristiques spécifiques.
Particulièrement éloquent et puissant dans l’œuvre nouvelle de Thomas Lacôte, le baryton Mathieu Dubroca se montre moins à l’aise chez Fauré, la voix affichant un legato moins affirmé et quelques ruptures dans le ton. La soprano Roxane Chalard possède un matériau vocal certain et assez large, un peu trop extraverti ici tandis que l’expressivité manque un peu à l’appel pour pleinement convaincre. Il convient de saluer sans aucune réserve l’Ensemble Aedes d’une rare homogénéité d’ensemble, mais aussi capable d’innover et de surprendre dans l’œuvre contemporaine.
L’œuvre est accueillie de façon triomphale, les auditeurs saluant sans réserve tant l’ensemble des interprètes que le compositeur lui-même. En bis, Le Cantique de Jean Racine de Fauré ne pouvait que s’imposer.