La Chaise-Dieu lyrique avec les malheurs de Didon
Comme pour le concert Bach proposé la veille au Puy-en-Velay, l’Abbatiale Saint-Robert de La Chaise-Dieu affiche complet pour ce concert consacré à Purcell avec sa Didon et Énée. Sur la scène surélevée, l’Orchestre et les Chœurs du Poème Harmonique occupent avec majesté l’espace de représentation. Pour animer dans cette acoustique sacrée cet ouvrage où s’entrelacent à même hauteur la tragédie et la comédie, une excellente mise en espace conçue tout spécifiquement pour le lieu a été élaborée.
Les solistes et principalement les chœurs notamment au deuxième acte avec l’intervention de la magie et des sorcières mènent la danse au milieu d’éclairages savamment colorés et dosés, jusqu’aux manifestations puissantes et bruyantes de l’orage. Les différentes phases de l’action ainsi dessinées viennent porter la musique enchanteresse de Purcell sans la dénaturer ou distraire le spectateur.
Vincent Dumestre connaît parfaitement cet ouvrage pour l’avoir déjà dirigé pour la scène notamment à l’Opéra de Rouen Normandie en 2014 et 2016 (notre article), préambule à plusieurs reprises à Bruxelles, Vichy ou à l’Opéra Royal de Versailles. Un DVD de qualité paru chez Alpha Classics avec la mezzo-soprano Vivica Genaux en porte témoignage.
À sa suite, Adèle Charvet effectue à La Chaise-Dieu sa prise du rôle de Didon avec une certaine fébrilité bien compréhensible. Le tempérament plutôt démonstratif de la chanteuse doit ici se plier à une autre discipline dans un rôle où l’intériorité et l’anxiété dominent. Même la rage de la puissante Reine de Carthage devant l’abandon par Énée doit être contenue. Pour autant, la richesse de la voix d’Adèle Charvet, sa plénitude et sa flexibilité parviennent à s’exprimer dans ce rôle spécifique qu’elle pourra certes encore approfondir. Le fameux air final "When I Am laid in earth" n’en paraîtra que plus intense au niveau de l’émotion et de la sensibilité à fleur de peau.
À ses côtés, le baryton Jean-Christophe Lanièce aborde le rôle d’Énée avec ampleur et une certaine forme d’autorité qui le pousse quelquefois à amplifier ses moyens naturels au détriment d’une certaine justesse. Sa présence en scène par contre est décisive pour le déroulé de l’œuvre.
Ana Quintans incarne Belinda d'une manière particulièrement touchante et presque maternelle avec Didon. La facilité des vocalises, sa ligne de chant toute de transparence et de luminosité donnent tout son cachet à son interprétation.
Le baryton Igor Bouin excelle tant dans le rôle de la première magicienne qui anime avec acuité tout le deuxième acte que du marin au troisième. La voix est solide et déterminée, le chanteur égalant l’acteur de caractère.
Caroline Meng et Anouk Defontenay s’amusent, avec toute l’ironie et la méchanceté requises, à incarner les sorcières dans leur haine pour Didon tandis que le contre-ténor Fernando Escalona-Melendez, depuis le fond du chœur de l’Abbatiale, incarne avec puissance l’esprit qui doit décider du départ d’Énée vers l’Italie. Marie Théoleyre assume pour sa part avec talent le rôle plus discret de la seconde dame.
Vincent Dumestre met pleinement en valeur la richesse instrumentale de l’ouvrage, adoptant des tempi un peu lents et d’autres puissamment vivants et poétiques, le tout en dosant avec subtilité l’expressivité et les moments plus douloureux. Son ensemble Le Poème Harmonique -Orchestre et Chœurs- répond avec diligence et acuité à toutes ses sollicitations même les plus infimes.
Ce travail d’ensemble est salué avec effervescence par l’ensemble du public présent qui ne ménage pas ses applaudissements. Un bis a cappella et un superbe feu d’artifice tiré depuis le parvis de l’Abbatiale au grand bonheur de tous couronnent cette soirée et ces débuts du Festival 2024.