Le Bach Collegium Japan et Masaaki Suzuki à Innsbruck
Le programme de cantates proposé par Masaaki Suzuki et son Bach Collegium Japan s’inscrit en plein dans la thématique retenue cette année par le Festival de Musique Ancienne d’Innsbruck : « D’où venons-nous ? Où allons-nous ». Hier, avec Arianna in Creta de Haendel, c’était la symbolique du fil d’Ariane qui permettait d’engager la réflexion. Aujourd’hui, c’est avec une sélection de cantates de Bach qu'elle se poursuit.
Les quatre ouvrages retenus pour le concert traitent en effet du rapport de l’homme à son créateur, de l’origine de l’homme et de sa destinée, de la vie sur Terre et de la vie dans l’au-delà. Avec la cantate O Ewigkeit, du Donnerwort (Ô éternité, toi, parole foudroyante !), c’est de la damnation éternelle et du besoin urgent de repentir qu’il s’agit. Avec Was frag ich nach der Welt (Que puis-je attendre du monde ?), c’est plutôt le contraste entre la nature transitoire des plaisirs terrestres et les joies éternelles de la foi qui est mis en avant, Wer nur den lieben Gott läßt walten (Celui qui laisse Dieu régner sur sa vie) traitant plus frontalement de la foi inébranlable en Dieu devant les épreuves de la vie. La plus connue et la plus populaire des quatre, la cantate Jesu, der du meine Seele (Jésus, toi qui par ta mort amère) synthétise les thèmes conjugués du péché, de la rédemption et de la grâce.
C’est donc dans une atmosphère de ferveur religieuse et de foi en la vie que les musiciens du Bach Collegium Japan, sous la conduite inspirée de leur chef et créateur Masaaki Suzuki, interprètent ces quatre opus, réunis non seulement dans leur thématique mais également dans leurs liens chronologiques. Les quatre titres ont tous été composés lors de l’année 1724, dite « l’année de la cantate chorale » pour Bach, également la deuxième année de son poste de Cantor à Leipzig. Difficile de concevoir programme plus réfléchi, parfaitement cohérent en soi et idéalement en phase avec la thématique du Festival et les attentes du public.
L’interprétation s'élève à la hauteur de la nature ambitieuse du programme. Le cadre magique de l’église de l’abbaye de Wilten, l'un de ces joyaux baroques dont l’Autriche regorge pour le plus grand bonheur de tous, ne pouvait que souligner ce subtil mariage entre ferveur religieuse, profondeur spirituelle et foi en la beauté artistique. Non pas que la lecture des musiciens japonais ne cède à l’emphase et à la luxuriance du lieu. Réduit à un effectif sobre et mesuré, une vingtaine d’instrumentistes et pas plus d’une douzaine de chanteurs (trois par pupitre, solistes compris), c’est presque dans un climat d’austérité que se déroule le concert. Les interventions des solos instrumentaux en sortent avec d’autant plus de force et de conviction, et l’auditeur n’est pas prêt d’oublier la flûte enchanteresse de Yoko Tsuruta, l’intensité du violone de Robert Franenberg ou l’expressivité des hautbois de Masamitsu San’nomiya, Go Arai et Kohei Soda. Il se montrera également plein d’indulgence pour la trompette de Jean-François Madeuf, un peu malmenée par les difficultés meurtrières du solo obligé de l’air de basse « Wacht auf, wacht auf, verlor’ne Schafe » (Réveille-toi, réveille-toi, brebis perdue).
Lumineuse dans chacune de ses trop rares interventions, Carolyn Sampson régale, en plus de son sourire angélique, d’un soprano clair et aérien qui malgré le passage des ans a su garder toute sa fraîcheur. Encore trop peu connu en France, le contre-ténor Alexander Chance déploie un legato de miel qui ouvre les portes du ciel. Le duo soprano / alto se fait un pur moment de grâce. Très sollicité par cette sélection de cantates, le ténor Benjamin Bruns ne cesse de s’améliorer au cours de la soirée, grâce notamment à un instrument riche et bien timbré, pour ne rien dire d’une diction en tout point exemplaire. Mêmes qualités chez la basse Christian Immler, qui connaît son Bach sur le bout des doigts et dont le bronze de la voix garde l'agilité des parties récitées et des vocalises les plus audacieuses.
Le chœur confirme la réputation qu'il s’est faite sur une maîtrise absolue de la justesse, de la précision rythmique et des variations dynamiques. Du grand art, dans un cadre magique, que le public du Festival salue avec ferveur et enthousiasme.