Les jeunes artistes de Lyrique-en-Mer rendent hommage à Fauré
L’une des spécificités du Festival Lyrique-en-Mer est d’accueillir chaque année une dizaine de jeunes chanteuses et chanteurs, toutes et tous étudiants avancés, terminant leur formation et faisant leurs premiers pas en tant que jeunes professionnels. Durant la programmation du Festival, ils bénéficient de conseils de professionnels expérimentés et ont l’opportunité de se produire en public autour de programmes diversifiés.
Pour commémorer le centenaire de la mort de Gabriel Fauré, le Festival propose une soirée en deux temps : d’abord, chacun de ces dix jeunes artistes chante une mélodie du compositeur français, et, aux côtés d’un ensemble de musiciens professionnels, ils interprètent ensuite, son Requiem, sous la direction de Philip Walsh.
La soprano Samira Schür ouvre le concert avec Aurore. Sa technique bien installée et sa bonne articulation lui assurent des voyelles claires et bien projetées, servant ainsi l’intelligibilité du texte.
Simon Bièche, quant à lui, chante Le Papillon et la fleur (la première mélodie au catalogue de Fauré). Sa voix naturellement vibrante et riche en harmoniques s’associe bien à l’accompagnement suggestif de Philip Walsh. Tous deux réussissent à dessiner dans cette valse des ondulations où se figure le mouvement. Puissante mais sans jamais être forcée, la voix du jeune ténor est suffisamment maîtrisée pour qu’il puisse émettre des aigus clairs sans mixer et en détimbrant juste assez dans le but de servir le caractère bucolique.
Paul Corsand laisse entendre son beau timbre de baryton dans Nocturne. Le manque de continuité dans les nuances, qui se traduit visuellement par une ouverture buccale peu progressive et parfois disproportionnée, prive néanmoins ses graves de teneur et menace même ponctuellement la justesse.
La soprano Sophia Jin chante Sylvie. En dépit d’une légère nasalité qui peut donner une impression d’artificialité, sa technique bien en place lui offre des aigus souples et bien posés.
La mélodie Clair de Lune est chantée par le ténor Zachary Smith dont la voix chaude dans les médiums et dans les graves se montre néanmoins un peu fragile dans les aigus. Par ailleurs, le texte chanté manque parfois d’intelligibilité, notamment en raison de fricatives qui demeurent encore un peu imprécises.
Il m’est cher, Amour, le bandeau, est proposé avec conviction par la mezzo-soprano India Lord, grâce, notamment, à une voix égale et facile, aux aigus souples et maîtrisés, et à des nuances bien senties.
Le baryton Eddy Lukau interprète Le Secret. Son timbre robuste lui assure des graves très sonores mais la puissance de la voix surinvestie ici à travers quelques excès qui ne trouvent pas de justification dans le poème d’Armand Silvestre, n’est pas encore suffisamment dominée pour que les aigus soient moins détimbrés.
Au-delà de la performance vocale, Adélaïde Mansart propose une véritable interprétation de la mélodie intitulée Le Don silencieux. Avec une diction impeccable, un phrasé soigné et une voix parfaitement posée, sans aucun artifice apparent, la mezzo-soprano chante tout en retenue, en laissant le sens du texte guider la ligne mélodique et ce, malgré le jeu précis mais un peu fort et trop appuyé de la pianiste, Joyce Fieldsend.
Avec Avant que tu ne t’en ailles, Anna Spokojny-Caron peut révéler une voix puissante et bien maîtrisée, qui se déploie dans des aigus brillants, soutenus par un vibrato déjà ciselé.
Gigi Casey conclut cette première partie avec Après un rêve. Même si elle semble un peu trop se garder des risques de l’interprétation, l’exécution est précise, la voix, bien accrochée dans les médiums et les graves, est souple et bien posée.
À la suite du salut des artistes auquel répondent les chaleureux applaudissements du public, l’entracte permet aux musiciens de s’installer pour la deuxième partie du programme. Aux dix chanteurs réunis en chœur se joignent alors huit instrumentistes pour interpréter le Requiem. Cette formation restreinte, que dirige Philip Walsh et qui se montre propice à restituer l’intention de Fauré dans sa version dite « pour orchestre de chambre » de 1893, permet de distinguer et d’écouter à nouveau chacune des voix – dont certaines se détachent d’ailleurs, telle celle limpide et lumineuse de Simon Bièche qui, connaissant la partition par cœur, peut maintenir son visage relevé et s’assurer une projection optimale. Bien que la couleur des voyelles manque parfois d’homogénéité et que les finales, sur lesquelles l’espace exigeait sans doute moins d’appui, souffrent de légers décalages, le chœur et l’orchestre parviennent à produire une pâte sonore à la fois dense et colorée. Cela est notamment perceptible à deux moments particulièrement éloquents : dans les canons de l’Offertoire, celui des voix prolongeant parfaitement celui des cordes, et, plus encore, dans le crescendo saisissant du Libera me qui part de loin, presque sur un murmure qui épouse fidèlement l’élévation et l’incarnation progressive des pizzicati. Les solos, assurés par Eddy Lukau et Samira Schür, sont également de bonne tenue. La voix du baryton, qui, naturellement puissante et se plaçant spontanément bien devant, pourrait être un peu moins forcée, transperce néanmoins sans difficulté la masse sonore de l’orchestre. Le Pie Jesu de Samira Schür est radieux, son vibrato souple lui permet de poser et de suspendre opportunément tous ses aigus.
Parmi les nombreux spectateurs qui remplissent cette belle église de Locmaria et qui feront une enthousiaste ovation aux interprètes, sont placés, dans chacun des croisillons, au plus près des jeunes artistes de l’Académie, tous les chanteurs professionnels auprès desquels, durant ces semaines de résidence, ils auront pu recueillir des conseils et trouver la généreuse attention et le souci de la transmission qui caractérisent bien l’esprit de ce Festival.