Mon beau miroir par Emiliano Gonzalez Toro et I Gemelli à Lessay
Pour sa 31ème édition, le Festival Les Heures Musicales de l'Abbaye de Lessay affiche un programme de prestige et fort diversifié associant sur juillet et août, Les Arts Florissants et Paul Agnew pour l’Orphée de Gluck, les organistes Benjamin Alard et Olivier Latry, mais aussi l’Ensemble Aedes et Mathieu Romano pour un concert dédié à Bach, The Tallis Scholars, Le Poème Harmonique de Vincent Dumestre pour un programme Purcell, Simon-Pierre Bestion, et en clôture Les Cris de Paris et Geoffroy Jourdain pour les rares psaumes de David et de Salomon d’Heinrich Schütz.
Pour sa première invitation à Lessay, Emiliano Gonzalez Toro a choisi de présenter son programme déjà bien rodé intitulé A Room of mirrors et présenté notamment au sein de la Cathédrale Saint-Louis des Invalides en mai dernier. À ses côtés, le ténor Juan Sancho se substitue ici avec le même bonheur à son confrère Zachary Wilder. Ce concert de madrigaux italiens du XVIIe siècle propose des solos et des duos pour ténors magnifiant l’amour et ses engagements, en passant des situations les plus sérieuses aux plus réjouissantes. Ainsi, dans l’air savoureux de Biagio Marini, La Vecchia innamorata, les charmes d’un jeune homme sont convoités par une vieille dame, tandis que lui-même se trouve éconduit par la jeune fille dont il est épris. Juan Sancho excelle à exposer les affres successives du personnage. L’air "Giunto alla tomba" de Sigismondo d’India, en forme de plainte et de déploration, permet à Emiliano Gonzalez Toro d’exposer toute une gamme de sentiments plus graves et particulièrement expressifs. Entre chanson à boire (Damigella tutta bella de Vincenzo Calestani) et air introspectif (Dialogo della Rosa de Giambattista Marino), les deux artistes s’en donnent à cœur joie, notamment dans les duos où chacun rivalise amicalement de virtuosité et d’élégance musicale.
Les deux voix de ténors, tout en se mariant parfaitement dans une même qualité d’ensemble, paraissent fort différentes. Celle d’Emiliano Gonzalez Toro plus grave de timbre et plus assise dans le médium avec certaines notes presque barytonnales, marque une aisance et une facilité certaines jusque dans les aigus. Il sait manier la phrase, évoquer une atmosphère tout en livrant un chant vibrant et vif. Juan Sancho possède un timbre beaucoup plus clair, un aigu radieux et un sens festif inné. Le placement vocal est tout autre, assez haut en soit et précis. Le feu d’artifice qu’ils livrent tous deux à égalité ne sombre jamais dans la démonstration et la facilité. La musique et l’expressivité se placent toujours au premier plan de leur interprétation.
Le magnifique duo évoquant les émouvantes retrouvailles d’Ulysse et de Télémaque dans Le Retour d'Ulysse dans sa patrie de Claudio Monteverdi le démontre sans appel. Tout en chantant et en se dépensant sans compter au plan scénique comme à son habitude (il présente en sus chaque morceau aux spectateurs présents), Emiliano Gonzalez-Toro dirige I Gemelli avec précision et un amour du baroque qui surgit à chaque instant. Devant le triomphe unanime remporté en fin de concert, il paraît certain que d’autres invitations devraient intervenir dans le cadre des prochaines saisons de l’Abbaye de Lessay.