Un Requiem germano-bellilois, ou la joie de partager la voix
Le chœur de Lyrique-en-mer réunit des amateurs passionnés qui, chaque année, à partir de janvier, préparent assidûment une œuvre du grand répertoire qui jalonne, aux différents coins de l’île bien-nommée, son festival consacré à la musique vocale. Après celle de Locmaria (le 9 août) et avant celle de Bangor (le 15 août), c’est la lumineuse église du Palais, magnifiée par toutes ses mosaïques Art déco, qui accueille ce soir le Requiem de Brahms. Dans les rangs du chœur figurent également les huit chanteurs de l’Académie de Jeunes Artistes, jeunes professionnels et étudiants avancés, sélectionnés pour passer cette vingtaine de jours à Belle-Île à se former, participer à des master-classes et se produire en public autour d’un programme riche, dans une démarche de partage qui reflète bien tout l’esprit de ce festival. Et ce soir, cet esprit se fait particulièrement sentir.
Outre le fait que l’œuvre est exigeante, le chœur doit faire face à deux difficultés : d’une part, le déséquilibre des pupitres et la large supériorité des pupitres féminins – caractéristique de nombreux chœurs amateurs qui ont tant de peine à recruter des basses et des ténors –, et, d’autre part, une acoustique assez dure qui a tendance à laisser le son sur place et à enfermer les chanteurs dans leur voix en les privant du retour de celles des autres et des instruments. Les légers décalages des consonnes et les premières paroles a cappella légèrement détonnées ont certes pu témoigner de ces difficultés. Mais, en réponse, les choristes font montre d’un véritable engagement, restituant avec précision un texte sur lequel ils ont manifestement beaucoup travaillé et n’hésitant pas à prendre le risque de quitter la partition des yeux pour suivre les gestes et les mouvements des lèvres de leur chef, Philip Walsh, qui les accompagne lui-même à travers une direction expressive et généreuse. Les nuances, précisément les piani produisant ce mystérieux murmure qui se glisse dans la résonance du chant des solistes ou des instruments, les départs, même les plus délicats comme ceux de la fugue qui conclut le troisième mouvement (Herr, lehre doch mich - Seigneur, fais-moi savoir), les passages plus techniques comme les triolets du « Vivace » du sixième mouvement (Denn wir haben hie - Car ici-bas) : tout cela est bien en place grâce à la qualité de la communication entre le chef et son chœur.
Les instrumentistes, en formation réduite et repensée pour ces concerts – sans orgue, sans timbales, sans contrebasses, mais avec piano –, semblent également particulièrement attentifs aux choristes. Leur façon de les accompagner est complète et complémentaire. Par exemple, le flûtiste Anthony Robb joue intentionnellement plus fort pour que le son de son instrument s’insère dans celui produit par la cinquantaine de chanteurs, alors que le violon de Jean-Marie Baudour, quant à lui, tient la bride en ne renonçant ni à ses nuances ni à la sensibilité de son vibrato qu’il adresse au public autant qu’aux chanteurs pour les accompagner dans toute la richesse de leur expression. Tout semble ainsi fait, non seulement, avec, mais également, pour le chœur, dans ce même esprit de partage et de transmission.
Bien qu’elle ne soit pas servie non plus par l’acoustique, la voix du baryton, Michael Kelly s’illustre par sa clarté et sa souplesse dans ses mediums et ses aigus. Sa liberté dans les tempi et son phrasé impeccable donne un relief au texte qui personnifie opportunément ses interventions. La soprano, Jazmin Black Grollemund, transperce le voile acoustique, grâce, d’une part, à son vibrato très tonique, produisant du mouvement jusque dans ses notes tenues et ses pianissimi encore sonores, et, d’autre part, à un soutien imperturbable qui donne un sentiment de facilité d’un bout à l’autre du spectre de sa voix.
L’énergie des deux solistes contribue à une impression joyeuse inattendue pour un Requiem et que le chef Philip Walsh, fidèle à l’intention brahmsienne d’humaniser sa grande œuvre sacrée, semble avoir voulu donner en choisissant des tempi plus allants. Ainsi, dans le deuxième mouvement, par exemple, la ligne de crête entre l’aspect habituellement funèbre de la marche (Denn alles Fleisch - Car toute chair) et celui bucolique de la partie centrale plus animée (So seid nun geduldig - Soyez donc patients), se déplace pour créer une nouvelle alternance entre solennité et jubilation.
Cette gaité inattendue aura alors bien trouvé son public, nombreux, qui, avec enthousiasme, rappelle trois fois les artistes pour les couvrir d’applaudissements chaleureux, comme pour les remercier de leur avoir transmis cette joie contagieuse du simple fait de chanter.