Taormina célèbre Puccini avec un volcanique Turandot
En Sicile se tient le Festival Lyrique des Théâtres de pierre : une quarantaine de concerts organisés par le Chœur lyrique de Sicile. Le Turandot de ce soir l’est à Taormina dans un splendide théâtre antique, dont le mur de fond de scène laisse une brèche s’ouvrir sur l’Etna, qui fume non loin. Dans ce décor à couper le souffle, et devant 4.000 spectateurs, Salvo Dolce propose une mise en espace efficace, grâce aux lumières de Gabriele Circo qui habillent la pierre, aux fumigènes qui s’ajoutent aux vapeurs du volcan, et aux costumes de Fabrizio Buttiglieri qui contextualisent l’action et les personnages : le décor naturel suffit amplement à offrir un grand spectacle sans ajout scénographique (pas même un surtitrage). Ainsi, le Prince de Perse dont l’exécution introduit l’ouvrage (par une marche aux percussion avant même les premières notes), semble-t-il tout droit sorti du jeu vidéo du même nom ("Prince of Persia"), tandis que Turandot apparaît dans une tunique blanche majestueuse.
L’édition 2024 du festival est pensée en hommage à Puccini, qui est mort il y a 100 ans. Aussi, afin de ne pas prendre parti devant les hésitations du compositeur lui-même, le choix est fait ici de ne pas jouer le dernier tableau (composé par Alfano après la mort du maître) et la soirée se termine donc sur la mort de Liù.
C’est le chef Filippo Arlia qui est à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Calabre, placé sur la scène et dont le bois des instruments ressort sur l’ocre de la pierre. Il parvient à varier les couleurs, mettant notamment les cuivres en valeur, et à construire des ensembles subtiles, produisant un son brillant, qui s’atténue avec justesse lorsque les voix des chanteurs nécessitent un appui plus discret.
Le Chœur lyrique de Sicile (préparé par Francesco Costa) met quelques minutes à prendre la mesure du lieu et du dispositif (le chef officiant dans leur dos). Mais très vite, l’apparente timidité s’efface et la cohérence d’ensemble se forme, la phalange se montrant de plus en plus précise et puissante, tout en s’appliquant dans les chorégraphies qui leur sont dévolues. Les timbres des différents pupitres offrent des teintes variées. Le Chœur d’enfants « Note Colorate » défile par deux fois, en angéliques processions, avec leurs bougies.
Le couple central est ici le même que celui qui officiait il y a un an à Massy (lire notre compte-rendu) et Clermont-Ferrand (spectacle chroniqué ici). Turandot est ainsi chantée par Chrystelle di Marco, dont la voix de soprano dramatique apporte puissance et autorité. Ses aigus saignants, ses longs phrasés intenses et palpitants, sa voix concentrée, apportent au personnage tout son charisme de princesse.
Eduardo Sandoval est quant à lui un Calaf à la voix vaillante pour exprimer la puissance de son amour, mais malgré tout capable de retenir certains aigus afin de les rendre plus suaves. Son « Nessun dorma » laisse apparaitre des graves un peu éteints, mais il triomphe, avant même à la fin de l’air, d’un « Vincero ! » vainqueur.
Elena Mosuc incarne une Liù puissante, dont la voix au timbre de braise est vibrée intensément. Ses phrasés longs et soignés suivent avec souplesse les inflexions de la ligne de chant. Ainsi, son chant apporte à l’amante éconduite une nuance et une sensibilité appropriée.
Les trois ministres forment un trio convaincant et uniforme, qui s’investit dans son jeu et son récit. En Ping, David Costa Garcia dispose d’un baryton mat. Sa voix fine mais bien audible lui offre une prosodie précise. Le Pong de Federico Parisi (natif de la ville) se montre gaillard et puissant. Sa voix épaisse et claironnante est placée dans le masque. Enfin, le Pang de Davide Benigno (quant à lui natif de la Messina voisine) dispose d’un timbre plus grave, l’obligeant à passer ses aigus en puissance. Cela ne l’empêche toutefois pas de construire des phrasés soignés.
Timur trouve en Viacheslav Strelkov de larges résonnances lui conférant la voix d’un sage, au timbre grisonnant comme la barbe du roi déchu, vibrée avec l’aplomb de la noblesse. Pietro Di Paola est un Altoum cérémonieux, dont la voix, aux résonnances limitées et au vibrato léger, reproduit tout à fait la fragilité du personnage. Il trouve cependant dans son deuil des harmoniques graves plaisantes. En Mandarin, Antonino Giacobbe semble avoir du mal à appréhender l’espace, sa voix résonnant comme lointaine. Cela ne l’empêche toutefois pas de scander ses interventions d’un timbre de pierre.
Dans une acoustique comme celle d’un tel théâtre antique, chaque son se réverbère. Un papier de bonbon qu’on ouvre, un téléphone qui sonne, un enfant qui hurle, un spectateur qui crache ses poumons : toute perturbation venant des spectateurs est très largement partagée. Comme le sont les applaudissements nourris qui accueillent les artistes dès que le public réalise que le spectacle est terminé (avant la fin habituelle, donc). L’ensemble de la distribution est rappelé de nombreuses fois pour accueillir les remerciements d’un public conquis.