Un Barbier de Séville communicatif au festival de la Vézère
Depuis que la troupe britannique Diva Opera a pris ses aises au château du Saillant voici presque trente ans, le Festival de la Vézère, rivière du sud de la Corrèze, a vu passer bon nombre de personnages d'Opéra. Rien que ces dernières années, il y eut Rigoletto, Don Giovanni, Carmen ou encore Madame Butterfly. Mais puisqu’il s’agit aussi de mêler le rire aux larmes, le festival sait aussi faire place à un répertoire plus léger. La preuve en cette édition 2024, avec un Le Barbier de Séville qui attire une nouvelle fois la foule dans une grange à la configuration aussi charmante que spécifique.
Car c’est bien une scène d’à peine trois mètres sur cinq qu’il s’agit ici de transformer autant en place sévillane qu’en demeure bourgeoise s’apprêtant à accueillir une foule de joyeux personnages. Mais la compagnie itinérante anglaise, habituée à voyager léger, trouve là l’occasion de mettre une nouvelle fois à contribution son sens de l’inventivité et de l’optimisation de l’espace. Loin de chercher l’originalité où l’extravagance, la mise en espace vise au plus juste (et au plus simple) : pour figurer la place, voici quelques orangers, des grilles et éléments de mobilier ; pour la demeure, voilà trois panneaux composant une porte, une table et quelques fauteuils formant cabinet, et bien sûr un petit piano de chambre pour la leçon de musique. Le reste est à d’abord chercher dans les costumes de Charlotte Hillier, aussi soignés que les perruques de Joanne Berry : le style est celui d’un début XIXème où l’élégance demeure plus que jamais de rigueur. Pour ces messieurs, talonnettes et costumes à longues basques ; pour ces dames, robes raffinées et coiffes distinguées. Il y a aussi ces lumières, longtemps fixes mais qui savent à l’occasion se mettre plus activement au service de l’action, avec des flashs d’un blanc électrique pour décrire l’orage, et surtout ce rouge vif, à la fin du premier acte, pour dire l’enfer d’une situation si incandescente que des forgerons doivent apparaître sur scène pour maîtriser le feu rongeant les personnages de l’intérieur.
Plus qu’une mise en espace, une mise en scène de poche, simple mais efficace, avec un peu d’abondance matérielle qui offre aux personnages le loisir de prendre pleinement possession du plateau, au prix de mouvements dont la mécanique bien réglée est studieusement exécutée (au détriment d’une spontanéité qui, par moments, siérait sans doute mieux à des artistes dont l’engagement est total).
Matthew Durkan est un Figaro de belle tenue, au baryton distingué et large d’ambitus. Le jeu est tout aussi assuré, avec ces manières roublardes de tirer les ficelles de situations ubuesques et de jouer du coupe-choux à la manière d’un vrai professionnel (avec un peu trop de mousse cependant). Un personnage qui prête à rire en somme, tout comme le Bartolo du baryton-basse Matthew Hargreaves, qui campe ici un docteur dont la spécialité est celle d’être toujours dépassé par les événements, et dont la noblesse est surtout à trouver dans une voix ronde à l’auguste émission (voix qui se fait plus drôlatique que jamais à l’instant de la leçon de piano, quand elle prend la tessiture d’une soprano des mauvais jours).
Loin de n’être qu’une éclipse dans cette galaxie de situations loufoques, la Berta de Stephanie Windsor-Lewis se distingue par son caractère enjoué, mais aussi par le relief d’un mezzo mordoré à la belle rondeur de projection. Plus furtivement, le Fiorello d’Ambrose Connolly fait aussi montre d’une belle autorité sonore, avec son solide instrument de baryton, quand David Stephenson se fend aussi en Officier d’une apparition assurée.
La révélation de la soirée est sans conteste le Basilio de Timothy Dawkins (Sparafucile déjà remarqué ici l’an dernier), avec sa voix de basse creusée et pénétrante qui saisit l’auditoire dès les premières notes de « La Calunnia », et sa manière irrésistible de camper un maître de musique en abbé malvoyant. Entre la femme docile et obéissante et celle qui, telle une vipère, est prête à tendre cent pièges pour atteindre sa proie, Tereza Gevorgyan choisit surtout de s’intéresser à la seconde. Moins fragile que badine, sa Rosina est d’une fraîcheur et d’une vitalité constante dans son jeu de scène comme dans l’emploi d’une voix dont l’émission incessamment vigoureuse et lustrée par un aigu radieux. Le jeune Michael Bell est enfin un Almaviva vaillant, qui fait un habile usage d’un ténor certes un peu nasal de timbre, mais au registre médian nourri et à la ligne de chant parée de couleurs se voulant comme les plus chatoyantes possibles.
De cette version qui conserve les principaux airs (à l’exception du « Cessa di piu resistere » final), Bryan Evans se fait un architecte musical aux mains expertes derrière son piano-orchestre disposé à flanc de scène. Dès l’ouverture (raccourcie), le vif tempo est donné, les notes bondissent, les motifs rythmiques se superposent et se répondent en un fol élan sonore digne du style rossinien. Les chanteurs, à quelques dizaines de centimètres de lui, ne peuvent que suivre le rythme, quitte parfois à prendre un petit temps d’avance par excès d’enthousiasme, mais alors le maestro use de son savoir-faire pour retrouver illico une parfaite cohésion d’ensemble.
À la fin, l’amour (le vrai) triomphe, et le public conclut sa soirée d’une humeur joyeuse, saluant par de longs applaudissements une troupe qui, bien qu’invitée ici depuis plus de deux décennies, n’en finit pas d’étonner.