Siegfried, enfant terrible du Ring à Bayreuth
Ce Ring est marqué par une accumulation d'idées scéniques qui se superposent en préférant à la recherche de sens une impression générale de joyeuse confusion. Une parenthèse est faite sur les tribulations de la famille Wotan pour se concentrer sur l'histoire de Siegfried, enfant terrible élevé par le peu recommandable Mime, qui lui sert à la fois de père et de mère. Le nain a trouvé refuge dans l'ancienne maison de Hunding, qu’il a réparé à sa façon, en y installant des poupées et un théâtre de marionnettes, sans doute en prévision de l'anniversaire de Siegfried. Celui-ci ajoute au mauvais comportement un alcoolisme notoire et la consultation de revues pornographiques en guise d'éducation sexuelle.
Valentin Schwarz remplace la scène de la forge par un jeu d’une complexité à outrance, où l'arme légendaire Notung apparaît à l'intérieur d'une béquille sur laquelle s'appuie Mime, à la façon d'une canne-épée. De la même manière, il montre le jeune Hagen (dont il est finalement révélé qu'il était ce "golden boy" enlevé par Alberich dans l'Or du Rhin), au chevet d'un Fafner en vieillard victime d'une crise cardiaque. L'oiseau de la forêt en infirmière et Erda en SDF complètent cette étonnante galerie de personnages, tandis que passe de main en main ce pyramidion lumineux qui symbolise, depuis le prologue, la toute-puissance des dieux.
Par un rapprochement tout aussi étonnant, Brünnhilde sort d'une autre pyramide, semblant imiter sa consœur parisienne du musée du Louvre. Elle est emmaillotée dans des bandelettes de momie rescapée des opérations de chirurgie esthétique narrées dans l’épisode précédent. Éternellement jeune, elle peut se jeter dans les bras de Siegfried, non sans avoir éveillé la jalousie de Grane, son fidèle cheval (ici interprété par un figurant que le public retrouvera par la suite).
Cette impression d'inabouti est rattrapée en partie par la très bonne impression que donne Klaus Florian Vogt pour ses débuts in loco dans un rôle de Siegfried qu'il avait étrenné à Zurich la saison dernière. Aux antipodes d'un Andreas Schager préoccupé par une projection vocale très physique et spectaculaire, l'interprétation de Vogt apporte au personnage une naïveté adolescente traversée d'une fureur impétueuse. Cette profondeur du chant s'appuie sur des qualités de ligne et de souffle qui s'épanouissent naturellement dans l'acoustique de Bayreuth. Aux saluts, la salle l'acclame longuement et fait honneur à sa performance.
La Brünnhilde de Catherine Foster laisse entendre quelques faux pas au début du troisième acte, mais réussit parfaitement la fin du long duo avec Siegfried, avec une belle endurance dans les tenues qui lui assurent un succès bien mérité aux saluts.
Tomasz Konieczny empoigne à bras-le-corps le rôle du Wanderer, auquel il confère une force et une ténacité plus convaincante que dans les deux volets précédents. Olafur Sigurdarson lui emboîte le pas dans un rôle d'Alberich qu'il domine d'un bout à l'autre, avec une palette très sombre et très dense.
La palme des applaudissements revient à Okka von der Damerau, Erda superlative, sans doute l'une des meilleures détentrices du rôle entendue sur la Colline depuis longtemps, tandis qu'Alexandra Steiner déplie les aigus de son Oiseau de la forêt avec des trésors de précaution mais non sans quelques tensions passagères. Il est à relever la belle présence de Tobias Kehrer en Fafner sonore et bien projeté, ainsi que le Mime acerbe et très incarné de Ya-Chung Huang.
Très précise et chargée d'impact, la direction musicale de Simone Young donne de la cohérence à l'action dramatique, même si la sobriété des tempi et des plans sonores trop timorés tient la bride haute au dernier acte, dessinant à la pointe sèche le début du duo où l'émotion point mais jamais n'éclot. Les plans sonores et les timbres gagnent progressivement en profondeur et donnent une belle vigueur à toute la conclusion. Au tomber de rideau, toute l'équipe recueille une belle acclamation, avec une attention particulière à Klaus Florian Vogt.