Les drames familiaux de La Walkyrie à Bayreuth
Retransmission intégrale sur France Musique, à vivre avec ce lecteur audio le samedi 24 août 2024 à 20h :
Pas vraiment une famille en or, cette famille Wotan agitée par les rivalités entre les couples Wotan-Fricka ou Sieglinde-Hunding. Le public assiste toujours à une vraie série télé au moment où gronde l'orage du premier acte, avec cet arbre qui vient de s'abattre sur la maison de Hunding (ici gardien de la maison Wotan). Celui-ci est l'heureux papa de l'enfant à naître (Siegfried), ce qui rend obsolète l'intrigue entre les jumeaux Sieglinde et Siegmund. Quand ce dernier arrive, Valentin Schwarz (avec une direction d'acteur minimale) et cette intrigue revue ne lui laissent donc que peu de place. Au rang des expériences scéniques aventureuses, il faut citer (entre autres) : la tentative d'avortement avec aiguilles à tricoter, et Wotan s'improvisant gynécologue-obstétricien en vérifiant que l'enfant est bien en place.
Fricka voit d'un mauvais œil les amours incestueux du frère et de la sœur. Elle humilie Wotan en obtenant de lui qu'il ne protège pas Siegmund, mais aussi Brünnhilde en l'affublant du même tailleur très collé-monté dans lequel elle drape sa pudeur d'épouse du dieu des dieux. L'épée Notung est aux abonnées absentes : elle a la forme d'un révolver caché sous une mystérieuse pyramide lumineuse. Il faudra deux actes pour identifier cet objet comme le symbole de la famille Wotan. Au dernier acte, c'est dans un tombeau aux airs de Pyramide du Louvre que Brünnhilde ira s'endormir tandis que Wotan divorce de Fricka en laissant tomber sa bague dans le verre de vin qu'elle lui propose. Plus de flamme dans ce couple, et d'ailleurs la scène n'est éclairée que par une bougie solitaire au centre du plateau.
Fidèle aux codes et péripéties des séries télé, Valentin Schwarz choisit de montrer Wotan tirant à contre-cœur sur Siegmund tandis que Sieglinde s'enfuie avec le nouveau-né Siegfried. Plus contestables sont les funérailles de Freia au début du deuxième acte et le rocher des Walkyries changé en clinique de chirurgie esthétique. Cette curieuse école des femmes exhibe de vilaines traces de leur nécessaire tentative de rajeunissement, faute de pouvoir désormais manger les pommes de Freia.
Le plateau permet en grande partie de supporter les approximations de la scénographie, à commencer par le trio Zeppenfeld, Spyres et Miknevičiūtė qui ne manquent pas d'embraser le premier acte. Georg Zeppenfeld n'exagère pas la noirceur de Hunding mais il lui confère une belle autorité et un poids naturel grâce à une maîtrise de la ligne et du vibrato.
Michael Spyres fait des débuts très remarqués et très applaudis dans un emploi très sollicitant et très exposé. Son Siegmund n'a pas la surface vocale des Heldentenors mais la couleur et les contours expressifs séduisent assurément, malgré quelques signes de nervosité dus à l'ambiance d'une première. Une comparaison s'impose avec son récent Lohengrin à l'Opéra du Rhin, sans doute plus évident pour lui qu'un Siegmund, qui demandera encore quelques soirées pour pouvoir peaufiner la prestation.
La ligne fulgurante et la puissance des aigus de Vida Mikneviciute font de Sieglinde une Brünnhilde en puissance, qui ravit le public et lui assure une ovation, pour sa première soirée sur la Colline. Sa projection naturelle et l'agilité des changements de registres contrastent nettement avec le Wotan toujours aussi rustique de Tomasz Konieczny, compensant toute la soirée une incapacité à phraser et à nuancer par un volume invariablement hypertrophié. La Fricka de Christa Mayer confirme les bonnes impressions de la veille, ajoutant à une ligne très soignée la faculté de rendre palpable l'ironie et le mordant du personnage.
L'effectif des Walkyries est profondément renouvelé, avec l'arrivée de cinq nouvelles interprètes parmi lesquelles les brillantes Brit-Tone Müllertz (Ortlinde) et Noa Beinart (Rossweisse). Peu cohérentes et souvent aux limites du cri, Dorothea Herbert (Helmwige) et Claire Barnett-Jones (Waltraute) font pâle figure aux côtés de Catharine Woodward (Gerhilde) et Alexandra Ionis (Siegrune). Maria-Henriette Reinhold (Gimgerde) avec Christa Mayer, enchaînant brillamment Fricka avec Schwertleite.
La direction de Simone Young est à son meilleur dans le deuxième acte, revigorée par une action dramatique qui donne de la cohérence à la battue. Mais la sobriété des tempi tient la bride un peu haute au premier acte, là où le geste laisse éclore l'émotion dans des adieux de Wotan où l'orchestre tient assurément le premier rôle et reçoit aux saluts une acclamation bien méritée de la part du public du Festival de Bayreuth.