Crépuscule en demie-teinte au Festival de Bayreuth
Ce Ring du Festival de Bayreuth 2024 se termine sur des huées saluant la plus faible des quatre soirées, tant sur le plan scénique que sur le plan vocal. L'approche du metteur en scène Valentin Schwarz ne trouve pas le fil qui lui permettrait de relier les nombreuses idées de son Crépuscule des Dieux. Le spectateur ne peut que rester circonspect en faisant le constat qu'il ne parvient pas à pénétrer une approche d'où émergent les concepts d'une société qui périclite économiquement, moralement et écologiquement.
La thématique est ici bien loin de la référence à la dramaturgie tumultueuse des séries télé, ajoutant à la confusion le fait que Brünnhilde et Siegfried sont désormais parents, ce qui vaut la présence en scène d'une petite fille qui accompagnera sa mère jusque dans son "immolation". Les trois nornes rôdent autour de l'enfant comme des spectres fantomatiques, préfigurant le divorce des parents et le départ de Siegfried pour de nouvelles aventures. Les Gibichungen, dessinés en horde de parvenus imbéciles dans leur mauvais goût et la façon d'exhiber leur richesse, interrogent. Le dénouement de l’intrigue dessinée tout au long de ce Ring révèle ici que Hagen (désigné depuis le prologue comme "Or du Rhin") va devoir accomplir le meurtre pour lequel il a été programmé tout jeune dans L’Or du Rhin. En revanche, le mystère reste entier sur l'absence de philtre qui justifierait le fait que Siegfried s'amourache de Gutrune et qu'il donne à Günther les clés de l'appartement où attend Brünnhilde…
Au deuxième acte, Hagen prépare son coup en tapant avec des gants de boxe dans un sac de sable, avec un Alberich en coach sportif pour l'encourager. Le chœur manque de force, exhibant mystérieusement des masques de Wotan et laissant place à l'obscur jeu stratégique où se trame la conjuration contre Siegfried. Le troisième acte ne présente aucune autre idée que celle d'une immense piscine vide, en écho à celle dans laquelle batifolaient les enfants dans l’Or du Rhin.
Siegfried pêche avec sa fille dans une flaque d'eau sale, maigres reliques du Rhin désormais tari. Le barrage de Chéreau et la piscine de Frank Castorf ne sont pas loin, mais ici dans une version en demie-teinte. La mise à mort se fait avec un coup de poing américain identique à celui avec lequel Fafner avait abattu Fasolt dans le prologue. L'immolation de Brünnhilde commence comme Turandot et se termine en Salomé jouant avec la tête tranchée de Grane, son fidèle serviteur et compagnon que la mise en scène a attribué à un figurant qui se retrouve ainsi dans une lumière inattendue.
Vocalement, les belles surprises sont ici à trouver dans les rôles secondaires, à commencer par l'Alberich de Olafur Sigurdarson, très nuancé de phrasé et de vibrato, qui fait exister son personnage sans le compromettre par un histrionisme de mauvais aloi. La Waltraute de Christa Mayer mérite également les éloges qu'elle reçoit et confirme les impressions de sa Fricka dans la Walkyrie.
Malgré un aigu périlleux qu'il escamote au tout début de la deuxième scène du deuxième acte, la prestation de Klaus Florian Vogt en Siegfried parvient à convaincre pleinement. Le ténor allemand est en grande forme et prouve par le soin qu'il apporte à la ligne générale qu’il est possible d’aborder ce rôle autrement qu'avec un catalogue d'accents dynamiques censés en exprimer l'héroïsme. La Brünnhilde de Catherine Foster projette des aigus très charnus et brillants, puisant dans ses réserves pour signer une immolation qui lui attire les vifs applaudissements de la salle au tomber de rideau. Pour sa deuxième année sur la Colline, le Hagen de Mika Kares demeure en demi-teinte, comme embarrassé par un instrument assez lourd dont il ne parvient pas à canaliser le flux pour restituer une ligne affirmée et homogène.
Constat identique pour le Gunther de Michael Kupfer-Radecky, en-deçà de la noirceur et l'ampleur du rôle et moins engagé que la Gutrune de Gabriela Scherer qui vitupère dans l'aigu et assure une belle présence scénique pour ses débuts à Bayreuth. Les trois Nornes en revanche semblent perdues, avec Noa Beinart et Alexandra Ionis trop instables et les trémulations de Christina Nilsson. Constat quasi similaire pour les trois Filles du Rhin, malgré la Wellgunde sonore de Natalia Skrycka, mais avec Evelin Novak (Woglinde) et Maria-Henriette Reinhold (Floßhilde) trop dépareillées. Préparé par le fidèle Eberhard Friedrich, le chœur ne force pas son talent dans une unique scène de foule d’un Ring qui souffre d’une direction d'acteurs peu entreprenante.
La direction de Simone Young prolonge la bonne impression qu'elle donnait dans Siegfried, avec une lecture où affleurent les angles vifs, les accents et les lignes. Elle joue la carte payante d'une urgence et d'une prise de risque qui emporte l'adhésion et compense largement les manquements de la mise en scène. Aux saluts, l'équipe de mise en scène est d'ailleurs copieusement huée, tandis que le plateau vocal et la direction sont célébrés dans un enthousiasme communicatif.
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