Hervé Niquet et son Concert Spirituel à la recherche de Vivaldi à Saintes
Pour quelques jours encore (il cédera sa place à Ophélie Gaillard pour l’édition 2025), Hervé Niquet accueille le public de l’abbatiale de Saintes en tant que directeur artistique du Festival qui s’y tient depuis 1972, dédié à la musique dite “historiquement informée”. Aux côtés de son ensemble de toujours, Le Concert Spirituel, il présente un programme entièrement consacré à Antonio Vivaldi, compositeur ô combien prolifique. Un océan de musique dans lequel le chef français a décidé d’un cap : interpréter dans leur version originelle les œuvres écrites par le prêtre roux pour les jeunes filles de l’Ospedale della Piètà à Venise, l’orphelinat tenu par des bonnes sœurs, dont il était le maître de musique.
Hervé Niquet le rappelle lui-même, avec l’humour flegmatique qui le caractérise : “dans un couvent de femmes, il n’y a point d’hommes”... C’est donc dans une configuration inhabituelle, mais fidèle à la réalité historique, que les œuvres du soir sont interprétées : avec un chœur exclusivement composé de voix “féminines”, qui se répondent dans une écriture harmonique nécessairement plus resserrée que les versions pour voix mixtes les plus fréquemment présentées. Et Hervé Niquet d’interpeller un homme du public pour lui lancer avec un clin d’œil : “quel gâchis…”
Tout au long du concert, Hervé Niquet associe à ses traits d’esprit quelques éléments de contexte historique qui éclairent le public. Le public y apprend, par exemple, ce qui justifie la division de l’orchestre et du chœur en deux, de chaque côté de la scène. Dans l’église de la Pietà, où la musique de Vivaldi accompagnait les cérémonies religieuses, deux tribunes se font face, de chaque côté de l’assemblée. Une disposition reproduite ici, avec deux moitiés égales en nombre placées face à face : 5 sopranos, 5 altos et 9 instruments de chaque côté, séparés par l’orgue positif (qui peut être déplacé, et donc "posé" ailleurs) et le pupitre du chef. L’Abbaye aux Dames de Saintes devient alors le lieu d’une reconstitution historique qui permet de mettre en espace l’écriture dite “responsoriale” de Vivaldi, phénomène particulièrement visible dans le court Laetatus sum, où deux pupitres se succèdent, se répondent en écho et se coupent la parole.
Cette disposition est sans doute le principal défi d’Hervé Niquet et du Concert Spirituel. Dans cette abbatiale de Saintes dont l'acoustique favorise en général les fréquences graves, le chef français adapte son choix de tempo, en particulier dans les passages les plus concertants. Il assure de cette façon la lisibilité des entrées et l’écoute entre les deux moitiés de son ensemble dont les membres se retrouvent relativement éloignés. Dans la pièce maîtresse du programme, le Gloria RV 589, Hervé Niquet se permet d’augmenter la cadence d’un cran, et d’introduire un peu plus de cette fougue si coutumière, que le public attend lorsqu’il assiste à un programme consacré à Vivaldi. Il est alors suivi par un orchestre aux aguets, répondant comme un seul homme (ou une seule femme !) aux inventions de son chef. Les effets de contrastes sont soulignés. Les coups d’archets sont francs. Les explosions fréquentes. Il y a là, révélé par la battue expressive d’Hervé Niquet, le paradoxe tout italien d’une écriture refusant de choisir entre l’horizontalité de la ligne et le rythme des périodes harmoniques que les carrures imposent.
Une autre particularité du concert du jour : l’absence de voix solistes. Dans les passages qui les prévoient, Hervé Niquet a fait le choix du collectif, en confiant ces airs à un pupitre entier, ce qui représente un défi particulier pour les chanteuses du chœur. Elles prouvent ici leurs qualités d’écoute. L’oreille la plus attentive ne décèle que de très rares consonnes finales décalées, bien maigres en comparaison de l'homogénéité d’un phrasé qui souligne les hauts intervalles ascendants et privilégie, encore une fois, le contraste entre les nuances. Le concert se termine sur un dernier morceau de bravoure, dans le dernier mouvement du Gloria : une fugue aux multiples entrées qui fait entendre des harmonies d’une grande justesse, malgré l’intrication étroite de l’écriture.
Tout au long du concert, le public se montre particulièrement intéressé par les éclairages historiques et amusé par les saillies truculentes d’Hervé Niquet, qui tire sa révérence à l’abbatiale de l’Abbaye aux dames, après ses deux ans de mandat à la tête du Festival de Saintes. Il quitte la scène à la fin du bis, laissant à son ensemble le soin de faire résonner les dernières notes sous des applaudissements chaleureux.