Sondra Radvanovsky au Festival d’Aix-en-Provence, un mélodisme d’opéra
La voix parcourt les grandes étapes du deuil, à travers cinq siècles de répertoire, de manière à en dégager les constantes, avec Purcell et Haendel dans la lamentation baroque, Strauss et Liszt dans la confidence romantique, notamment.
La soprano, à la voix large et longue de mezzo, voire de contralto, présente en anglais, et sans micro, à la manière d’une showwoman, un programme gravitant autour d’un de ses propres poèmes, mis en musique par le compositeur et pianiste américain Jake Heggie, If I Had Known, en création européenne.
Profondément enraciné dans une pliure biographique douloureuse mais initiatique de la chanteuse – le décès de sa mère atteinte de la maladie d’Alzeimer –, ce texte évoque en des termes simples et directs son désarroi : « Si j’avais su / Que tes derniers mots seraient "tu me manques ma fille "… » Une maman emporte avec elle la mémoire fondatrice, celle de l’origine. Le chant est un palliatif à l’absence, au manque, à la perte.
Deux robes, l’une noire, l’autre éclatante, pourraient également renvoyer à ce parcours d’affects, From Loss to Love (le titre du récital), si la chanteuse n’était pas coutumière de ce geste scénique. Le parcours de vie – l’un des axes du Festival – reste cependant au centre d’un récital où le public semble entrer, pas à pas, chant à chant, dans une connaissance de l’artiste, portant sur des éléments, en apparence, externes à la musique : une reconstruction d’un parcours, avec ses aménités, ses embûches, ses rencontres et ses séparations.
La rencontre avec le baryton russe, aujourd’hui disparu, Dmitri Hvorostovsky est évoquée, et les trois Romances de Rachmaninov lui sont dédiées.
La cantatrice belcantiste et verdienne prend le double risque d’aborder l’opéra accompagné par le seul piano et de lui adjoindre des mélodies et Lieder en Russe et en Allemand, avec le renfort de la partition et de quelques précautions oratoires. Un récital sous le signe, en partie convenu, de l’authenticité anglo-saxonne et de la générosité latine.
Les airs d’opéra font craquer les murs de l’auditorium, dans un travail du spectre dynamique, parfois assourdissant. Tel un regard de Méduse, étrange et pénétrant, l’instrument aborde la mélodie avec une signature vocale spectaculaire, une figure géométrique de mandorle, aux extrêmes du crescendo et du decrescendo, avec une ouverture de palais en croisée d’ogive.
Dans les Lieder, ce geste vocal est une véritable arme, permettant à la chanteuse de pallier les difficultés à atteindre ses aigus, qui perdent, sans cette parade composée, la pulpe et le noyau propre à son timbre d’amande, fraîche ou caramélisée. Il trouve son fourreau le plus ajusté dans les Tre sonetti del Petrarca (Trois sonnets de Pétrarque) de Liszt, comme en osmose avec la démesure émotionnelle et virtuose du compositeur.
Le piano d’Anthony Manoli est organique, quintessence d’accompagnement. Les transcriptions d’opéra ont une liberté de continuo baroque ou de paraphrase romantique. Les doigts sont de petits aimants, qui font tinter les notes justes, au sein d’une texture parfois complexe et fastueuse, chez les compositeurs du romantisme tardif. L’usage virtuose de la pédale permet au chant de faire vibrer les cordes sympathiques de l’instrument, réverbération qui ajoute encore à la dimension architecturale et gothique de la voix.
Plusieurs bis, du Vissi d’Arte de Tosca à Pace, pace mio Dio de La Force du destin, reviennent au cœur du déploiement vocal de l'artiste et remettent en perspective cette prestation et ce récital qui aura conquis progressivement et même conquis crescendo le public qui aura su entrer dans le projet.