1001 Orientalismes
Rêves de Bosphore, entre Byzance fantasmée et mélodies turques
Pour lancer ce festival multi-facette qui revendique une édition marquée par le métissage (dans le plein esprit « Classique & .. »), le directeur Albin de la Tour et le président Joël Frugier ont choisi d’inviter un ensemble de musique baroque, Le Concert de l'Hostel Dieu, et un quatuor (ce soir trio) jouant de la musique anatolienne, Telli Turnalar. A priori pas grand-chose à voir entre deux espaces et temps totalement différents, si ce n’est l’idée de jouer l’une des rares pièces du répertoire baroque qui parle effectivement de la région : "La scène est à Constantinople, autrement dite Byzance, dans le sérail du Grand Seigneur" pour Bajazet de Racine. L'opéra de Vivaldi, pastiche, prend pour personnage principal un sultan ottoman. La fusion s’arrête ici, et le concert ressemble davantage à une exploration marquée par une version raccourcie de l’opéra (en gardant la forme des trois actes et les arias principales pouvant être chantées par la mezzo-soprano) avec des inserts d’autres pièces du répertoire de Vivaldi, et des « intermèdes » de Telli Turnalar, qui montrent à la fois une grande proximité instrumentale, et des différences de style évidentes. Le concert se conclut alors par une jolie tentative de véritable fusion, accentuant à la fois les parallèles et les divergences de ces deux ensembles musicaux.
Dans l’orchestre du Concert de l'Hostel Dieu, c’est sans surprise Morgan Marquié, au théorbe, qui se fond le mieux avec les mélodies des saz de Telli Turnalar, glissant de la phrase baroque à la mélodie turque avec une grande agilité, montrant la proximité de ces deux instruments. Le reste de l’orchestre est plus timide dans les fusions, le dynamisme énergique des violonistes Reynier Guerrero et Sayaka Shinoda accentuant l’esprit baroque de Vivaldi davantage que ses potentielles sonorités orientales. Restée discrète tout au long du concert, Aude Walker-Viry se révèle dans la Sonate pour violoncelle RV44 en la mineur, où elle montre une brillance et une virtuosité rare.
Du côté des voix, Blandine De Sansal mène presque toute la partie baroque de la soirée, avec un engagement notable pour une version « de concert ». Dès ses premières interventions, elle annonce une sonorité claire, presque sèche, où le vibrato se fait rare, mais qu’elle manipule avec l’élégance d’un timbre mélodieux et délicat. Sa voix se chauffe au fur et à mesure du concert, et sa prise de voix par au-dessus donne une rondeur et une maîtrise telles que l’orchestre s’efface presque derrière elle. La fin de ce long concert est plus incertaine, avec les registres extrêmes qui perdent en clarté dans l’intonation, tandis que le registre medium est le véritable lieu d’expression mélodique de la chanteuse.
Face à la chanteuse classique, trois voix "lyriques" également donnent aussi du relief à ce concert. L’ensemble Telli Turnalar est pour cette soirée composé seulement de trois de ses chanteuses et musiciennes : Eléonore Fourniau, Petra Nachtmanova et Gülay Hacer Toruk, qui manient chacune à la fois le chant et le saz, le tambourin ou même le hurdy-gurdy (sorte de vielle à roue) pour la première, qui joue avec une voix légèrement rocailleuse, mais aussi beaucoup de puissance et d’engagement. Petra Nachtmanova équilibre le trio avec un timbre très doux et chaud, tout en rondeur et délicatesse, mais aussi un joli dynamisme. Le dernier membre du trio est alors beaucoup plus discret scéniquement, bien que prenant une place vocale bien certaine : Gülay Hacer Toruk a la voix la plus aboutie, avec une chaleur et une puissance qui n’aurait rien à envier à une mezzo d'opéra, et qui donne du caractère et de la force aux ensembles vocaux du groupe.
Face à tout ce petit monde, Franck-Emmanuel Comte dirige avec précision, et depuis son clavecin, les entrées et sorties de chacun, veillant à l’équilibre d’un concert intense et marqué par les applaudissements fréquents, laissant le public sous le charme.