Après avoir donné l’année dernière, une grande leçon de danse, avec les Ballets russes au Stadium de Vitrolles, Klaus Mäkelä donne cette année au Grand Théâtre de Provence une grande leçon de chant, dans le souffle et la chair du son orchestral pour La Nuit transfigurée (Verklärte Nacht) d'Arnold Schönberg et la Symphonie n°4 de Gustav Mahler.

Il entre dans le son avec une patte de velours faisant frémir et respirer les cordes. Ses lèvres se tendent comme pour faire doucement plier la flamme d’une bougie, sans l’éteindre, comme pour donner au son la finesse d’un ruban. Sans transition, le corps entier s’enfonce dans la matière, la sangle abdominale de l’orchestre, celle qui soutient la projection et garde le corps à l’équilibre. Il donne au violon solo, très exposé dans les deux œuvres, une vocalité tendre, sensuelle ou désolée, au timbre de porcelaine. Tout repose sur le déroulement d’un calme tempo intérieur, ou, à l’inverse, sur l’affrontement de la vague symphonique, dans ses crêtes et ses creux. L’un et l’autre processus semblent être réinjectés en permanence par la gestuelle souveraine ou vibrante de prédicateur du chef Klaus Mäkelä. Les couleurs données aux différents pupitres sonnent comme des tessitures organiques : colorature outre-ciel des violons, mezzo citronné des altos, baryton tabac brun des violoncelles, basse de forêt noire des contrebasses. Une mélodie de pupitres monte de la phalange, comme autant de tessitures, qui permettent à l’oreille de s’ouvrir à l’extase du chant humain.

Cette Symphonie n°4 de Mahler, en intégrant la voix dans son dernier mouvement, rend hommage comme toute la musique orchestrale post-romantique au grand architecte qu'est Beethoven et au Finale de sa Symphonie finale (La Neuvième, qui intégra les voix dans un "Hymne à la joie").

Discrètement, la chanteuse émerge des coulisses pour chanter ainsi La vie céleste (Das himmlische Leben), du recueil Le Cor enchanté de l’enfant (Des Knaben Wunderhorn). Le souffle est long et tenu, ce qui permet à la chanteuse de doser le vibrato jusqu’au trille, d’avoir un timbre d’aube, chargé de réminiscences, de plein soleil et de rouge combat. Le contraste entre épisodes planants et agités s’abreuve à la grande boite à rythme de l’orchestre. In fine, sur le vocable essentiel, « la joie » - Ces voix angéliques réchauffent les cœurs ! / Et tout s'éveille à la joie - Christiane Karg confie à la nuit un grand silence pétrifié que retient Klaus Mäkelä.

Le public, un temps à bout de souffle, salue avec ferveur après le recueillement, et encore avec l'émotion.