Programme "Miroir" avec Laure Baert et Laure Favre-Kahn aux Nancyphonies
Savamment construit en une succession de paires thématiques, le concert « Miroir » présenté dans le cadre des Nancyphonies 2024 aura été l’unique manifestation chantée de ce très pianistique Festival du Grand Est, qui fait depuis près de 35 ans le bonheur de la population nancéienne. Arcadi Volodos, Lucas Debargue et beaucoup d’autres auront été cette année les têtes d’affiche d’une série de concerts au sein de laquelle le duo constitué de Laure Baert et Laure Favre-Kahn aura apporté une contribution majeure.
De fait, les différents miroirs et appariements musicaux annoncés par le titre de leur récital peuvent prendre plusieurs formes. Avec Le Papillon et la Fleur de Fauré et Les Fleurs de Satie, il s’agit de simples échos thématiques, la deuxième mélodie étant donnée quasiment sans interruption, comme le prolongement naturel de la première. Avec Debussy et Rita Strohl, les deux interprètes du concert donnent l’occasion d’entendre deux mises en musique du même poème, La Chevelure de Pierre Louÿs. Autre pièce de Rita Strohl, compositrice française majeure qu’il est plus que temps de redécouvrir, la mélodie Roses dans la nuit répond aux Roses d’Ispahan de Fauré. De manière à diversifier un programme dont se dégage une belle unité, ainsi que le souci de mettre en valeur la musique et la mélodie françaises, les répons peuvent également être purement instrumentaux. Tel est le cas avec Clair de lune de Debussy, extrait de la Suite bergamasque et donné en écho à la mélodie du même nom, de Gabriel Fauré. Même principe pour les Jeux d’eau de Ravel, qui font suite à la mélodie La Pluie de la compositrice Louise Didier.
Le souci fort louable de redonner à nos compositrices la voix qui leur a hélas été quelque peu retirée par l’Histoire rend d'autant plus dommage que la mélodie Les lilas qui avaient fleuri de Lili Boulanger, annoncée dans le programme, ait finalement été retirée.
Les effets de miroir se retrouvent également dans le bel équilibre des deux parties du concert. Si la première est essentiellement consacrée aux émois devant les beautés mystérieuses de la nature – la lune, les étoiles, la pluie, les atmosphères diverses et variées –, la seconde se penche davantage sur le sentiment amoureux et sur les titillements de l’âme : chez Debussy comme chez Strohl par la troublante sensualité de La Chevelure, vers une fin de concert un peu canaille, avec le couplage constitué de la mélodie Violon de Poulenc et de La Fête de Claude Arrieu. L’inénarrable « J’ai deux amants » de L'Amour masqué de Messager annonce Les Chemins de l’amour de Poulenc, le concert se terminant sur la sublime chanson de Barbara « Ma plus belle histoire d’amour », belle manière d’associer le public, en un ultime effet de miroir, à toutes les beautés révélées au cours du concert.
La disposition particulière des Grands Salons de l’Hôtel de Ville de Nancy permet même au public de se réfléchir dans le miroir situé sur le mur derrière l’estrade où se trouvent les interprètes. En guise de bis, les deux artistes et artisanes de la soirée offrent à leur public un délicieux quatre-mains de Fauré, Laure Baert ayant également suivi au cours de ses études nancéiennes une solide formation de pianiste. Belle occasion pour les deux Laure de refermer la thématique du miroir, le jeu de l’une s’inspirant, pour ce dernier morceau de musique, de celui de l’autre.
La soprano Laure Baert (victorieuse à Metz en 2003 au Concours National des Voix d'Or) se consacre depuis plusieurs années à la direction artistique (Festival de Froville de 2017 à 2023, Festival de Sablé depuis 2021). La voix est celle d’un authentique soprano lyrique léger, au timbre agréablement fruité, voire délicieusement acidulé. La diction rappellerait presque celle des grands sopranos d’autrefois, mais ce qui pourrait aux yeux de certains passer pour un léger défaut est rapidement compensé par un réel sens de la communication, un abattage à toute épreuve et une grande classe dans la manière de dire et de phraser le texte : un soprano de grande école, assurément. La voix pourrait sembler un peu courte en aigus, mais rien de gênant pour le programme retenu. Outre l’habilité à concocter un programme fait à la fois de pièces très connues et de morceaux d’une grande rareté, la savante construction mise en place pour chacune des mélodies entendues s'appuie sur la musicalité de la chanteuse, s’alliant à son art de mettre en valeur le texte. Ce sens de la phrase et de la construction musicale se retrouve aussi avec le piano de Laure Favre-Kahn, qui constitue bien plus qu’un simple accompagnement. Discret mais efficace quand il s’agit de s’effacer derrière la voix de sa comparse, le jeu sait prendre son envol dans les passages où la retenue n’est plus de mise. Le toucher délicat de la pianiste convient idéalement à Debussy et à Ravel, mais il sait également se faire coquin et espiègle dans les morceaux de Poulenc, Arrieu et Messager.
Ce concert estival est très apprécié du public chaleureux et reconnaissant, même si malheureusement les Grands Salons de l’Hôtel de Ville de Nancy n'ont pas fait salle comble. En tout cas, ce programme a tout pour voyager, et être suivi de nouvelles propositions thématiques d’une telle facture.