À Vichy, la mélodie est une fête nationale
C’est donc cela, Musiques Vivantes : de la musique allant du classique au contemporain, des solistes motivés et des concerts donnés en des endroits d’exception (le plus souvent des églises remarquables). Une formule gagnante depuis désormais 40 ans et qui n’a donc aucune raison de changer pour une édition anniversaire qui, en une dizaine de dates, convoque l’œuvre de Fauré, Rachmaninov, Mozart, Debussy ou encore Haendel.
Le répertoire dit léger (prisé historiquement de ce lieu) compose aussi naturellement le programme de ce concert donné dans le Centre culturel de Vichy, avec son imposante façade d’inspiration Art Déco. C’est là qu’une joyeuse troupe d’artistes, sous la houlette de la soprano Fleur Mino (entendue en début d’année en ces lieux dans La Belle Hélène), vient proposer un spectacle mettant à l’honneur des compositeurs d’opérettes et comédies lyriques non seulement français, mais en plus originaires de la région Auvergne. Ainsi d’André Messager, natif de Montluçon dans l’Allier, dont sont joués et chantés des extraits de Véronique, Madame Chrysanthème, L'Amour masqué, Coups de roulis et Passionnément. Ainsi également de Louis Ganne, natif lui de Buxières-les-Mines, toujours dans l’Allier, et auteur notamment des Saltimbanques et de Hans le joueur de flûte, pages dont sont ici joués de savoureux extraits. Enfin, Emmanuel Chabrier, originaire d’Ambert dans le Puy-de-Dôme, dont le public, nombreux, peut entendre des extraits de deux pièces comico-lyriques, Une Éducation manquée et L'Étoile.
Le choix de compositeurs « locaux », actifs au tournant des XIXe et XXe siècles, donc. Mais le choix, surtout, d’airs gais et revigorants dont la troupe d’artistes s’empare avec toute l’énergie et l’allant nécessaires. C’est le cas de Fleur Mino, dont le soprano aux teintes fleuries et aux aigus étincelants épouse ce répertoire festif, qu’il s’agisse de chanter « Le jour sous le soleil béni » (Madame Chrysanthème), de dialoguer avec des fleurs, ou d’exprimer le tourment d’avoir le cœur partagé entre deux amants. Autant de doux transports servis par une voix à l’émission toujours contrôlée et à la ligne d’une netteté infaillible, sans omettre un sens permanent de l’incarnation dramatique, qu’explique sans doute l’expérience de l’artiste dans l’un de ses genres de prédilection, la comédie musicale.
À ses côtés, Cécile Perrin fait un usage tout aussi pertinent d’une voix de soprano longue de souffle et capable d’inflexions tout en maîtrise ouvrant tant vers des forte saisissants que vers des pianissimi de velours. Les manières théâtrales sont tout aussi captivantes, notamment lorsqu’il s’agit de moquer les hommes, avec une malice d’un naturel déconcertant, dans l’incontournable « J’ai deux amants » (L'Amour masqué).
Mais les hommes du soir ne semblent pas s’en offusquer. À commencer par le très guilleret Juan Carlos Echeverry, au ténor assuré et d’autant plus sonore à mesure qu’il s’approche de l’aigu, qui sait avec une même application aussi bien jouer la carte de la nostalgie et de la tendresse que celle de la drôlerie et de la farce. C’est le cas dans ce « Duetto Bouffe » d'Une Éducation manquée, où une très rossinienne énumération de disciplines vire au défi d’articulation pour un ténor qui relève le challenge avec délectation.
Tout comme son compère Jean-Baptiste Dumora, dont la voix de baryton ronde et de prestance épouse elle aussi les contours comiques de chacune des partitions abordées, dont l’entraînant « Duo de l’âne » de Messager (« Deci delà Deci delà, Cahin caha Cahin caha... ») entonné tout en franche camaraderie avec Cécile Perrin.
Pour accompagner cette joyeuse troupe, Mickaël Bardin, au piano, sait autant se montrer sérieux et virtuose (comme dans l'adaptation pour piano solo de l’ouverture de Véronique), que facétieux lorsqu’il s’agit d’accompagner ses partenaires du soir par un jeu de mains sautillantes (mais tombant toujours juste). Plus furtivement, mais avec non moins de maîtrise de son instrument et de sens de la musicalité, le violoncelliste Axel de Jenlis, par ailleurs directeur artistique du festival, vient jouer Le Cygne de Saint-Saëns, apportant une touche de poésie entre deux tranches de légèreté.
Avec leur complicité évidente, les artistes s’illustrent par tout autant de plaisir communicatif dans des emplois collectifs, comme dans ces tutti façon Offenbach (« C’est nous les Gigoletti » des Saltimbanques de Louis Ganne) ou Strauss (valse « C’est l’amour » des mêmes Saltimbanques).
Deux airs qui ravissent le public qui applaudit chaleureusement, au terme du spectacle où les artistes auront même bu une coupe de champagne pour célébrer les 40 ans du festival. Les spectateurs manifestent ainsi leur plaisir d’avoir pris part à cette fête de la mélodie française : une vraie fête nationale en somme, comme un 14-juillet avant l’heure.