Soirée anglaise moderne et poétique au Festival International de Colmar
Proposer une ouverture d’opéra du compositeur britannique Thomas Adès pour débuter le programme est déjà chose singulière. Une nouvelle fois, Alain Altinoglu fait preuve d’originalité et d’éclectisme. The Tempest, opéra en trois actes sur un livret de Meredith Oakes d’après la pièce éponyme de Shakespeare, fut créé triomphalement à Covent Garden en 2004, avant d’être présenté cette même année à l’Opéra du Rhin dans le cadre du Festival Musica. Cette ouverture aux accents pyrotechniques montre une mer déchaînée vouant tout navire à une totale disparition dans ses flots. La transition offre un autre chef-d'œuvre, trop rarement joué au concert, puisant dans le génie de la littérature d'outre-Manche. La Sérénade pour ténor, cor et cordes de Benjamin Britten, créée en 1943 par le grand corniste anglais Dennis Brain et le ténor Peter Pears, le compagnon de Britten. Sorte d’anthologie de la poésie anglaise, d’Alfred Tennyson à Ben Jonson ou John Keats, ces mélodies sont encadrées par un Prologue et un Épilogue interprétés par le cor seul, ce dernier étant joué ici depuis la crypte de l’église Saint-Matthieu dans une sorte de halo mystérieux. Brèves ou un peu plus longues en durée, ces mélodies d’inspiration pastorale démontrent des atmosphères très diverses, apaisées ou plus perturbées.
Contrairement à la Sérénade de Britten, les Variations Enigma d’Edward Elgar s’imposent régulièrement au répertoire depuis leur création en juin 1899 à Londres sous la baguette du légendaire Hans Richter. Le titre de l'œuvre résonne avec le mystère qui entoure ces différentes variations, au nombre total de 14 : certains noms de proches sont associés à ces morceaux, mais les musicologues ne sont pas parvenus à résoudre toutes les énigmes posées. Certaines variations sont soit très brèves et fugitives, soit plus développées et variées. Les ambiances se succèdent sans discontinuer en passant de la tendresse, à l’humour ou au sérieux, avec une inspiration toujours piquante et diversifiée de la part d’Edward Elgar. La dernière variation, la plus connue Allegro presto, légendée E.D.U, évoque le compositeur lui-même sous forme d’autoportrait : à l'image de ce concert en autoportrait du génie musical britannique atemporel.
L’Orchestre Symphonique de la Monnaie semble comme se jouer des difficultés de la musique, notamment celle presque torrentielle de Thomas Adès, bousculant l’auditeur dans ses certitudes.
Le ténor anglais Ed Lyon offre en contraste sa voix claire et lumineuse, assez projetée pour le lieu. La musicalité est assurée. Certains aigus émis par l’artiste sont à la limite d’une ambiguïté de registres et de genres, ce qui convient tout à fait à certaines des pages proposées.
Le corniste belge Jean-Pierre Dassonville apparaît comme le maître absolu de son instrument et du si difficile cor naturel. De renommée internationale, il exalte dans la Sérénade un art précieux et plus que maîtrisé. Il sait ainsi se joindre à plusieurs reprises à la voix du ténor dont la partie doit demeurer pour autant prépondérante selon le souhait de Britten. Le dernier sonnet pour ténor solo Ô doux embaumeur de minuit silencieux se déploie dans la douceur et au sein d’une lumière qui peu à peu s'atténue au plan musical pour faire place à la nuit.
Devant les applaudissements nourris du public présent, Alain Altinoglu ne pouvait refuser un bis qui s’est avéré tout naturellement être le second hymne national britannique, la marche Pomp and Circumstance d’Edward Elgar couronnant un concert durant lequel l’Orchestre Symphonique de la Monnaie de Bruxelles, sous la baguette de son chef, se sera encore surpassé.