L’an dernier, le chef avait émis le souhait d’inviter son cher orchestre de La Monnaie de Bruxelles. C’est donc chose faite en cette année 2024 le temps de deux concerts successifs, la seconde soirée programmée se trouvant consacrée à la musique anglaise. Avec le Prélude du Lohengrin de Richard Wagner, Alain Altinoglu affirme une nouvelle fois son amour de l’opéra et de l’œuvre du compositeur. L’Orchestre Symphonique de la Monnaie laisse resplendir ses cordes jusqu’aux limites des transparences pour mieux rebondir ensuite dans un paroxysme presque foudroyant qu’Alain Altinoglu dirige avec à la fois avec fermeté et inspiration. Le Prélude ainsi exécuté ouvre sans conteste sur le drame qui va intervenir ensuite et sur ses conséquences funestes.

Alain Altinoglu a enregistré dans le cadre de l’année César Franck une magnifique interprétation de Symphonie en ré mineur du compositeur liégeois, ce avec son second orchestre, le Symphonique de la Radio de Francfort. Il réitère ici l’exploit avec l’Orchestre Symphonique de la Monnaie. Sa vision transcendante et constamment lumineuse de cette œuvre souvent un peu alourdie par une certaine forme de tradition allemande, renaît ici dans toutes ses composantes et ses affinités avec la musique française. Il lui confère un souffle, une ardeur passionnée mais aussi spirituelle, qui rend tout son prestige à cette musique de la fin du XIXème siècle. L’Orchestre fait preuve d’une alchimie des timbres musicaux constante qui dénote son adhésion complète aux souhaits et directives formulés par Alain Altinoglu, manifestement amoureux de cette musique. Elle révèle en outre la maturité désormais atteinte par ce chef, par ailleurs toujours souriant et disponible. 

Avant cela, les si poignants Chants d'un compagnon errant de Gustav Mahler complètent la première partie du programme, avec Stéphane Degout en soliste, tout juste arrivé des représentations d’Eugène Onéguine au Capitole de Toulouse. La ferveur retenue de l’interprétation du baryton français marque l’ensemble des quatre Lieder qui constituent le cycle. La voix apparaît toutefois un peu mat dans le premier morceau marqué par le déchirement de l’amour perdu. Mais très vite, dès le second Lied où l’homme blessé essaie de prendre de la distance, la voix s’élève ardente avec ce timbre riche et si prenant, ces couleurs qui osent le clair-obscur, ces envolées qui traduisent à partir du troisième Lied le désespoir le plus profond et la disparition possible. Cette mort imminente émane du quatrième Lied, sorte de marche funèbre et de fin de vie.

Salué avec ferveur par l’ensemble du public de l’église Saint-Matthieu, le baryton appuyé par les forces de l’orchestre et de son chef donne une mélodie tirée du recueil des Lieder aus der Jugendzeit (volume 3 de 1888/89), "Sur les remparts de Strasbourg". Plus proprement lyrique, elle permet à Stéphane Degout de laisser davantage de place à une expressivité comme libérée et plus incisive au niveau de la manifestation du son.

Cette première soirée du Festival international de Colmar soulève justement l’enthousiasme du public venu en nombre.