Les Fêtes grecques et romaines de Colin de Blamont : bacchanale olympique à Versailles
Les Fêtes grecques et romaines est une œuvre aujourd’hui totalement méconnue. Elle fut cependant, et ce tout au long du XVIIIe siècle, l’un des plus grands succès des opéras à la Cour. Créé en 1723, initialement projeté pour célébrer la majorité de Louis XV, puis reporté de quelques mois à la suite de la mort du Duc d’Aumont, cet opéra-ballet à entrées (désignant une pièce chantée et dansée en scénettes successives sans rapport les unes avec les autres) connut un tel triomphe qu’elle fut reprise en 1733 et 1734 à l’Académie Royale de Musique, puis dans divers théâtres du royaume entre 1739 et 1770, avant de tomber dans l’oubli pendant deux siècles et demi.
C’est Valentin Tournet, désireux de dénicher et de recréer des œuvres importantes du répertoire, notamment de l’Ancien Régime, pour son Ensemble La Chapelle Harmonique, qui revient défendre cette partition roborative en un prologue et trois entrées dédiées chacune à des fêtes de l’Antiquité, à savoir Les Jeux Olympiques, Les Bacchanales et Les Saturnales (l’ouvrage a fait également l’objet d’un enregistrement CD fin 2023, sous le label Château de Versailles Spectacles, avec quasiment la même distribution).
Il s’agit là de la première collaboration entre François Colin de Blamont (dont c’est le premier opéra), le jeune Surintendant de la Musique de la Chambre du Roy (succédant de fait à Lully) et de Louis Fuzelier, dramaturge à succès, qui n’en était pas à son coup d’essai et qui signera en tout 181 pièces théâtrales (et parmi sa douzaine de livrets d'opéras, il sera également le librettiste des Indes Galantes de Rameau, un autre opéra-ballet à entrées).
À vrai dire, les fêtes dont le titre se revendique, ne sont que des prétextes à raconter les amours de protagonistes tout à fait accessoires et secondaires à la célébration elle-même : point de Dieux qui descendent des cintres ici, ou de cérémonies à grand effet avec prêtres et prêtresses, sacrifice de bétail et autres nuages d’encens ou de processions mystiques. Toute l’action est concentrée autour des dialogues galants entre les amoureux (épris, éconduits ou trompés, au choix), et dont la fête sert de toile de fond.
De fait, le livret souffre un peu de situations répétitives, une impression de redite renforcée par la nature même de l’opéra-ballet, qui ne présente pas une narration linéaire, de surcroît ici présenté en version de concert sans les fastes d’une mise en scène, sans décors évocateurs ou ballets énergiques dynamisant un rythme de récitatifs un peu longuets.
Certes, la veine mélodique de Colin de Blamont est indéniable, tout autant que sa facilité à alterner les grandes scènes de chœurs savamment construites avec des monologues ou des dialogues plus intimes et gracieusement accompagnés par des instruments solos.
La Chapelle Harmonique offre d’ailleurs, sous la direction précise et enlevée de son jeune chef, une belle pâte orchestrale et chorale, fluide et souple, avec des phrasés très structurés et des moments grâcieux, notamment le chœur des Romains annonçant l’arrivée de Vénus lors des bacchanales qu’appellent de leurs voeux Cléopâtre et Marc-Antoine pendant leur séjour amoureux en Cilicie, ou encore dans la mystérieuse et envoûtante prière à Saturne dans l’entrée finale des Saturnales. Toujours attentif à l’équilibre fosse-plateau, Valentin Tournet déploie une énergie communicative pour faire rebondir les danses et les interludes orchestraux, donnant aux récitatifs l’intimité et la grâce nécessaire, et à chaque fois renouvelée.
Cécile Achille délivre de sa voix fraiche et douce des récits ornés, notamment sa délicate Bergère lors du Final.
Jehanne Amzal, avec l’assurance de sa voix ronde et délicatement épicée, déploie, en une ligne franche, aux ornementations sophistiquées, de très convaincants monologues, donnant à Délie dans Les Saturnales une envergure touchante d’amoureuse passionnée.
Marie-Claude Chappuis, de son mezzo cuivré, prête à Erato des accents moqueurs, et à Cléopâtre un côté mutin et enjôleur qui sied parfaitement au personnage. Même si certains aigus manquent de focus, le médium reste très souple et engagé.
Hélène Carpentier emplit sans aucune difficulté le moindre recoin de l’Opéra Royal de son grand soprano argenté et ample, servi par un timbre moelleux. Elle donne libre cours à ses talents de tragédienne, conférant à Timée (seul personnage vraiment tragique de l'œuvre) une aura remarquée par la musicalité de sa ligne, l’égalité de ses registres et son implication d’actrice tout à fait accomplie.
David Witczak campe un peu trop sobrement et sagement Apollon, Alcibiade et Marc-Antoine. Si son médium sonne très rond et ses aigus toujours souplement amenés, ses graves bien projetés et soutenus, ses interventions manquent d’une certaine théâtralité qui donnerait plus de relief à chaque scène.
Ce n’est pas le cas de Cyrille Dubois, qui allie une voix de ténor très charpentée et sonore, à la projection sans faille et aux aigus fort bien canalisés, à une vraie authenticité dramatique, donnant par exemple à son personnage de Tibule une incarnation sensible et crédible, le tout servi par une intelligence musicale et stylistique impeccables.
Les trois heures de musique sont saluées par un public enthousiaste, récompensé par une reprise en bis du chœur final de circonstance : “Chantons chantons cent et cent fois, échos, répondez-nous, répondez à nos voix…”