Ma vie de ténor au Festival Off d'Avignon
Ce spectacle est une adaptation de la Sixième soirée, extrait du recueil de nouvelles de Berlioz, Les Soirées de l’orchestre (1852). Le texte original décrit une carrière (a)typique d’un ténor avec une touche d’ironie et de satire. Jean-François Novelli, grâce à ses talents de comédien, s’approprie ce personnage fictif et raconte sa vie à la première personne, avec la passion et la conviction de se croire le meilleur, tout en jouant sur les innombrables clichés associés aux ténors dans le monde de l’opéra (attention les chevilles). Tout au long du spectacle, la caricature du ténor vaniteux et prétentieux, qui se pavane et regarde les autres de haut, prend forme, avec beaucoup d’humour et de charme. Heureusement, il ne chante pas l’air de Don José (il n’aurait pas eu besoin de Carmen pour lui jeter des fleurs).
Le spectacle débute avec la pianiste jouant seule, attendant l’arrivée du ténor, qui commence par jouer de la flûte à bec, légèrement faux cependant. Ces fausses notes le poussent à reposer sa flûte et à raconter l’histoire de sa brillante carrière. Évidemment, il mentionne que c'est un certain Lucien Pavarotti, tombé sous le charme de sa voix exceptionnelle, qui l'a initié au monde de la musique. Il a parcouru le monde, étant admiré et applaudi sur les plus grandes scènes ! Il était pratiquement un dieu, côtoyant les élites de l’Opéra de Paris ! il était au sommet… Cependant, la voix humaine est fragile et, tôt ou tard, cet instrument ne tient plus. Comme la pianiste le lui rappelle à la fin du spectacle, il faut savoir s’arrêter à temps ! Jean-François Novelli réfléchit alors sur la fragilité de la voix et la carrière éphémère des chanteurs.
Coquet, Jean-François Novelli change souvent de costume, évoquant les différents rôles de sa carrière. Il apparaît ainsi sur scène en patins à roulettes, en pantalon noir en cuir ou avec une perruque et des talons ! La pianiste japonaise Lucie Moulis l'accompagne, reste attentive à ses moindres gestes, échangeant avec lui et prenant parfois la parole, même en anglais. La voix ronde, perçante et bien canalisée du chanteur lui permet d'interpréter une variété de morceaux, allant des chansons napolitaines comme Santa Lucia (Teodoro Cottrau) et Funiculì funiculà (Luigi Denza) à des airs d’opéra extraits d’Eugène Onéguine (Tchaïkovski) ou La jolie fille de Perth (Bizet), et même du ABBA. Malgré l'acoustique un peu étouffante de la salle, il projette bien sa voix, riche en harmoniques, souvent nasalisée. Ses aigus sont ronds et puissants, bien que parfois légèrement bas et en force, sûrement dû à un voile du palais insuffisamment levé. Son interprétation est très fluide, engagée et très drôle. Le jeu de vanité est adouci par une touche de naïveté (l’empêchant de devenir trop lourde). Jean-François Novelli incarne ainsi un ténor attendrissant et attachant.
Le spectacle se conclut avec « À la voix d’un amant fidèle » (Bizet), chanté volontairement faux, avec un aigu catastrophiquement raté, illustrant le manque d’humilité et de réalisme qui menace la carrière des chanteurs lyriques, et combien la performance vocale est cruciale (combien aussi la carrière peut s’achever brusquement). Après cet aigu raté, la pianiste semble lui suggérer de reprendre la flûte, mais ils finissent par écouter mélancoliquement un enregistrement lui rappelant ses moments de gloire. Le public, touché et ravi, remercie les artistes avec enthousiasme.
[Ndlr : Lucie Moulis a été pianiste accompagnatrice dans la classe de chant de Moisés Ordóñez Alarcón entre septembre 2021 et janvier 2024, sans autres formes d'interactions alors et depuis]