Sobre Butterfly au Festival d’Aix-en-Provence
Les enjeux du drame sont relativement lisibles dans l’œuvre originelle de Puccini. Sans fioriture, la mise en scène d’Andrea Breth penche clairement du côté de la restitution fidèle. Ici, la demeure de Cio Cio San est présentée avec tous les atours d’une maison japonaise traditionnelle, dans la scénographie élégante de Raimund Orfeo Voigt. Les costumes ciselés d’Ursula Renzenbrink achèvent de peindre les personnages sous leur plus évident appareil : kimono pour les représentants de la culture japonaise, complet avec cravate pour les américains.
C’est la sobriété qui a été choisie pour raconter Madame Butterfly. Rien d’extravagant, aucune référence cachée dans telle ou telle image : tout concourt à faire de cette mise en scène la simple expression des éléments présents dans le livret. Une pointe d’originalité est à trouver dans un tapis roulant qui fait le tour de la scène, sur lequel semblent glisser les personnages pour passer de cour à jardin. Un dispositif qui fait sourire, lorsqu’un figurant assis fait ainsi une drôle de parade pour annoncer l’arrivée du navire de Pinkerton à l’Acte II, en tenant dans ses mains… une maquette de bateau.
Pour peindre la fresque sociale de Madame Butterfly, et animer cette rencontre entre deux mondes étrangers, ce ne sont pas moins de 14 rôles qui sont prévus dans l’œuvre de Puccini.
Ermonela Jaho incarne Cio Cio San. Si sa voix semble légèrement en retrait au début de l’œuvre, c’est dans l’emballage final, quand l’intensité dramatique augmente qu’elle prend sa pleine place. Devant un rôle si exigeant, il est assez courant d’économiser ses moyens pour les déployer après l’entracte. C’est ce que fait Ermonela Jaho, en préférant le goût des nuances extrêmes à l’impératif de passer l’orchestre, aidée en cela par Daniele Rustioni particulièrement attentif à laisser exister les couleurs variées découvertes ici sous un jour sensible. La meilleure preuve de ce sens de la nuance est à retrouver dans le moment le plus connu du rôle, Un bel di Vedremo où tous les aigus sont attaqués avec délicatesse et intégrés à une ligne mélodique ininterrompue. Incontestablement bouleversée au moment des saluts, la soprano albano-italienne est traversée par une émotion puissante et communicative.
La puissance vocale, dans cette distribution est à chercher du côté du ténor britannique Adam Smith en Pinkerton. La voix est son atout majeur, brillante et sonore, aux aigus tonitruants et au souffle bien installé. Un ténor lyrique incontestablement à l’aise dans le grand répertoire de Puccini, qui, s’il satisfait pleinement du côté vocal, pourrait se montrer plus expressif dans la sincérité du jeu scénique et l’investissement dramatique, bien qu’il réussisse la mission principale de son rôle : se faire détester.
La femme de chambre de Cio Cio San, Suzuki, est tenue par Mihoko Fujimura. La mezzo-soprano japonaise manque de stabilité dans un médium très vibrant, mais dès que la ligne atteint l’aigu, la lumière se fait sur une voix qui se voit confier quelques passages peu spectaculaires mais très difficiles, comme cette longue tenue recto tono du deuxième acte. Mihoko Fujimura se sort du piège grâce à une voix bien accrochée, pour y conserver la justesse.
Consul américain, et figure de sagesse de l’opéra, le Sharpless de Lionel Lhote montre des qualités de projection indéniables, basées d’abord sur une accroche à toute épreuve, qui, en plus de lui permettre de passer l’orchestre à tout moment, offre à son timbre des couleurs claires et irisées. Dans chacune de ses interventions, et particulièrement dans l’acte final, sa présence rassurante dégage un sentiment de confiance qui se propage aussi bien chez ses collègues que dans la salle.
Goro, marieur cupide qui n’a de cesse de trouver un parti à Cio Cio San moyennant rémunération, est incarné par le ténor italien Carlo Bosi. Volontairement nasillard dans ses interventions, il joue le rôle de façon assez littérale, sans réel parti pris, mais avec constance.
Avec une intervention de moins d’une minute au premier acte, qui peut permettre de se distinguer du reste du plateau, le Bonze est la figure symbolique de la rigueur de la tradition japonaise. C’est lui qui renie Cio Cio San après son mariage avec un américain, avec une autorité bien affirmée par la voix puissante d’Inho Jeong, basse coréenne remarquée et chaleureusement applaudi par le public.
Soupirant associé à Goro qui tente désespérément d’épouser Cio Cio San, le prince Yamadori est interprété par le ténor suédois Kristofer Lundin, issu de l’académie du festival. Il affiche une projection sûre et constante.
Albane Carrère est une lady Pinkerton discrète, dans l’ombre respectueuse du destin funeste de Cio Cio San. Ses interventions pleines d’empathie dans le dernier acte sont soulignées par une voix mûre et bien posée, dans laquelle vient poindre une once de noirceur bienvenue.
Kristján Jóhannesson, au timbre clair et à la projection franche, est un Officier Impérial scrupuleux, chargé de faire signer aux époux le contrat de mariage. Il est secondé par Hugo Santos en officier du registre, dont l’unique intervention chantée laisse entendre une belle profondeur.
La famille de Cio Cio San, présente au moment du mariage, est interprétée par des artistes issus du Chœur ou de l’Opéra Studio de Lyon. Alexander de Jong est un oncle à la voix puissante, tandis que le trio formé par la mère, la cousine et la tante affiche une belle synchronisation dans leur intervention.
Venus en habitués à Aix, les musiciens de l’Orchestre de l'Opéra national de Lyon sont placés sous la baguette de Daniele Rustioni qui multiplie les efforts pour tirer d’eux les accents les plus intenses, cherchant dans l’engagement physique un moyen d'entraîner ses collègues vers plus d’engagement. De ce point de vue-là, le volume orchestral pourrait être plus fourni, mais un souci de délicatesse vient suivre l’exemple d’Ermonela Jaho. Le travail de justesse des cordes permet de révéler certaines des harmonies les plus fines de Puccini, particulièrement dans le prélude du troisième acte.
Placés en coulisses, les Chœurs de l’Opéra National de Lyon brillent par la pureté de leur son et leur grande homogénéité. Préparés par leur chef, Benedict Kearns, ils font montre d’une grande capacité de nuance et d’adaptation aux couleurs recherchées par Daniele Rustioni.
Touché par le destin tragique de cette Madame Butterfly, et visiblement ravi de son traitement pur et lisible dans cette édition 2024 du Festival d’Aix-en-Provence qui multiplie les prises de risque, le public du Théâtre de l'Archevêché applaudit longuement les acteurs de la soirée. Une ovation qui se termine debout, signe que les grands classiques, parfois, se suffisent à eux-mêmes…
Comme chaque année, vivez le Festival d'Aix-en-Provence sur Ôlyrix avec un dispositif exceptionnel : Présentation complète du programme, Comptes-Rendus de toutes les productions dès les lendemains des premières, et Retransmissions en intégrales audio-visuelles gratuites à cette adresse.