Douce Bohème au Nouveau Siècle de Lille
Le Nouveau Siècle de Lille est un grand complexe moderne accueillant un Auditorium, et l'Orchestre national de Lille. Cependant il ne s’agit pas ce soir, seulement, comme l’annonce avec humilité le programme, d'un « concert symphonique », fondu dans « la création d’un univers visuel original, projeté en direct ». Une exploitation maximale de toutes les ressources de la salle est proposée : le dispositif scénique met l’orchestre au centre de la scène, laissant une frise de déploiement de l’action en fond de scène pour les premier et dernier actes, et mobilisant un proscenium pour les deuxième et troisième actes, ainsi qu’une répartition des chœurs et de la fanfare sur les deux balcons latéraux encadrant la scène (mais également dans l’ensemble de la salle elle même, où les artistes, figurants et choristes, vont déambuler en chantant). Au-delà du visuel promis, c'est donc une immersion sonore qui est réglée au cordeau.
Tout ce travail, voulu, conçu et coordonné par Alexandre Bloch est habilement secondé par les lumières et l’articulation de tous les procédés techniques avec Marc Hajjar (chef assistant, chargé de l’organisation des services et de la lumière) et Victor Jacob (chef assistant, chargé de la musique et de la régie générale). Également au travers des projections de Grégoire Pont qui tiennent lieu de décor, sur un écran colossal en mur de scène et sur un voile tendu aux deuxième et troisième actes. L’œuvre est ainsi proposée dans sa littéralité, suivant le fil du texte avec le travail de Félix Benati (chef assistant, chargé de la mise en scène). Le visuel somptueux des images déployées, fixes ou mouvantes, évolue selon les situations, épousant les états d’âme, ou soulignant tel ou tel élément énoncé, avec, par exemple, ce rayon de lune qui irradie Mimì lors de son premier air. Des images mentales se substituent aussi au décor naturaliste, lorsqu’est évoquée l’utopie d’un bonheur à venir, avec des feuillages évoquant le « printemps »…
L’orchestre bien que placé au centre et « gommé » visuellement par les projections, est le cœur battant de cette production avec une sonorité riche, une pâte sonore continue dans cette prose musicale puccinienne, et une belle variété de timbres (la harpe par exemple assez saillante ici). Le chef attentif aux chanteurs, dans une salle où la projection vocale ne va pas de soi, permet de déployer la palette dynamique la plus subtile et la plus étendue possible, allant du murmure onirique aux élans du cœur les plus exaltés et permettant à Rodolfo en particulier des nuances mezza voce, des demi teintes rarement tentées.
Les chœurs sont composés pour le peuple de Paris par le London Philharmonia Chorus, préparé par Gavin Carr, et, pour les enfants et les ouvriers, par le pléthorique Jeune Chœur des Hauts-de-France, préparé Pascale Dieval-Wils. Associés à la scénographie par leur déploiement spatial original, ils assument, tant musicalement que scéniquement, leur emploi de tableau sonore d’un Paris XIXe siècle, tour à tour miséreux et plein de vie.
Les solistes investissent un enthousiasme lisible dans leurs prestations, quasi tous étant déjà maîtres des rôles tenus ici.
Issus du Philharmonia Chorus, le baryton Paulo Cerquiera délivre proprement la phrase du Sergent, et Fionn Ó hAlmhain prête sa voix de basse très sonore au Douanier. Abel Zamora est un Parpignol au ténor de caractère assez sonore, campant justement ce personnage léger.
Le baryton Marc Labonnette incarne les deux personnages bouffes de l’œuvre, Benoît le propriétaire floué par le quatuor des amis, et Alcindoro, le vieux barbon, victime de Musetta. La voix est claire et sonore, et, sans chercher à faire du beau son, l'interprète a le souci de bien caractériser ses deux personnages, vocalement et scéniquement.
Le Schaunard de Francesco Salvadori est luxueux. Le personnage moins développé que les deux autres compagnons de Rodolfo, jouit ici d’une voix de baryton longue et sonore, avec des graves reluisants. Sa grande prestance scénique se joint à un abattage certain.
Magali Simard-Galdès met sa voix de soprano léger au service d’une Musetta faite de coquetterie et de tendre humanité. La voix est aisée et projetée, le vibrato serré, ce qui rend sa première apparition très efficace. La scène finale où le personnage montre toute sa dimension humaine est un peu affectée par des manques de son medium, ce qui la rend parfois peu audible.
Le baryton-basse Edwin Crossley-Mercer incarne puissamment Colline, le philosophe, avec une voix claire, large et chaleureuse, une grande élégance de ligne et un louable souci de prononciation qui confèrent à son air, véritable marche mortuaire, un poids dramatique certain (faisant de lui le socle sonore pour le quatuor).
Thomas Dolié met sa voix chaleureuse de baryton au service de Marcello, le peintre. La voix bien déployée est longue, assez puissante, et restitue avec émotion les facettes du personnage, jaloux, amoureux, compatissant… Il sait puiser ses couleurs d'un lyrisme profond.
Pene Pati incarne un Rodolfo vibrant, juvénile, tendre et émouvant. La voix magistralement projetée offre une matière constamment présente, lui permettant de bienvenues nuances pianissi(ssi)mi, très poétiques (s'alliant à la voix de Mimì). Malgré quelques aigus un peu serrés, la diction est claire, le jeu d’acteur engagé et sincère.
Nicole Car est une Mimì touchante, avec une voix de soprano lyrique, aisée, large. La palette de couleurs et de nuances est dynamique et riche, la ligne de chant portée par un souffle ample et une juste expression des dimensions du personnage. Son engagement scénique vient renforcer cette caractérisation, incarnée.
Le public ovationne cette Bohème, et salue dignement ce beau chant du départ d’Alexandre Bloch qui fait ici des adieux à l'Orchestre national de Lille après 8 ans de bons et loyaux services.