Concert en forme Olympique place de l'Hôtel de Ville
La fête bat déjà son plein dans les rues de Paris, qui vibrent du bruit de petits groupes musicaux bien sonorisés (ou simplement de sonos diffusant de la musique rythmée) lorsqu'à 19h, l'Orchestre de chambre de Paris procède à ses ultimes accords et réglages. Installés sur une estrade, sous un grand auvent, juste devant la Mairie de Paris dont la façade est ornée des emblèmes olympiques, ils attirent des spectateurs ayant repéré ce concert à l'avance mais aussi et surtout beaucoup de curieux étonnés par l'installation d'un tel dispositif. Certains auditeurs potentiels regardent d'abord de loin, mais ils profiteront aussi de cette musique symphonique dont l'amplification transforme la place en une salle de concert à ciel ouvert. Et puis, progressivement, les curieux s'approchent pour mieux voir, et pour s'immerger dans le son de la musique classique, jusqu'à composer une petite foule compacte devant l'estrade (la place finira même presque remplie, de spectateurs avec le sourire jusqu'aux oreilles emplies de musique classique).
Ayant ainsi le privilège de disposer du parvis de l'hôtel de ville, ce concert symphonique est assez loin des autres sources sonores de ce 21 juin pour ne pas être dérangé. Il n'en va pas autant des bruits de klaxons et des sirènes de véhicules prioritaires (qui ne semblent vraiment pas l'être tant ils peuvent rester de longues minutes bloqués et pin-ponifiant à un même endroit de la rue de Rivoli). Heureusement, seule une poignée des morceaux au programme est vraiment accompagnée par ces instruments superfétatoires, qui sembleraient même, presque, avoir accordé leurs deux-tons pour être dans la tonalité de Guillaume Tell, ou offrir un prélude en duo à celui de la Barcarolle des Contes d'Hoffmann (pour montrer l'incomparable beauté des voix humaines).
Pourtant, ces perturbations n'empêchent pas le public de s'immerger dans l'univers musical, la prestation proposée étant tout à fait au niveau d'un concert de gala dans une salle "classique". Reconstituant l'ambiance d'un concert (quoique sonorisé), les spectateurs fascinés se taisent et les parents font faire silence à leurs enfants, mais dans le même temps, profitant du fait d'être debout au soleil en format festival, les auditeurs se meuvent, voire dansent silencieusement au rythme de la musique lente ou rapide.
Les morceaux choisis sont en effet très variés dans les registres, styles et dynamiques, à l'image du morceau qui ouvre le concert : l'Ouverture du Guillaume Tell de Rossini (allant d'un mélancolique solo et quintette de violoncelles jusqu'à la cavalcade effrénée). Le programme est à la fois très varié et riche, alliant l'exigence artistique et un intérêt grand public : les morceaux sont soit des tubes soit ont tout pour l'être (y compris lorsqu'il s'agit de pièces bien trop rares), et ils permettent aux artistes de déployer de grandes scènes pour montrer la palette de leurs talents plutôt que de petites pastilles pour briller facilement.
Dès leur entrée en scène, chacun des cinq solistes lyriques fait son grand effet, visiblement du fait de leur célébrité dans le monde lyrique pour les spectateurs aguerris, et pour les autres, grâce à leurs tenues de concert brillant comme leur sourire du soleil radieux de cette belle et longue journée de solstice.
Les deux artistes lyriques masculins jouent sur les contrastes de leurs costumes : Ludovic Tézier en noir, Michael Spyres en blanc, et pourtant leurs voix se rapprochent énormément dans leur duo "Si, pel ciel " (Otello de Verdi). Le ténor américain continue en effet de s'approcher du baryton en continuant d'explorer sa voix de "bariténor". Leur chant s'unit ainsi de vigueur mais le ténor manque à la fois de l'éclat de sa tessiture d'origine et des moyens qu'un baryton tel que Tézier peut offrir dans le grave (d'autant que celui-ci sait allier la vigueur de l'intensité à la douceur du velours, le tout passant pleinement aussi au microphone).
Ils n'en déploient pas moins, tous deux et d'emblée, la puissance de leur chant. Et, davantage que des enceintes, c'est parfois de leur bouche directement que surgit le maximum de son (pourtant puissamment amplifié pour résonner sur la place).
Michael Spyres retrouve la plénitude de sa voix en revenant à Guillaume Tell et à son ténor, dans toute l'exigence du grand air d'Arnold, "Asile héréditaire". La clarté et l'ancrage s'allient pour projeter et animer l'intensité de son phrasé et la richesse à la fois fine et vigoureuse de l'aigu (qui demande toutefois quelques notes de préparations). Il fait même regretter, tant il déploie les couleurs irradiantes de ce romantisme italien, le fait qu'il ne chante plus à la scène comme il le fait ce soir, Alfredo (La Traviata de Verdi) et d'autres incontournables du répertoire de ténor lyrique, certes car il vogue vers d'autres répertoires plus rares ou plus lourds.
Ludovic Tézier offre quant à lui deux visages opposés mais qu'il réunit par sa prestation vocale. En Scarpia (le terrible antagoniste de la Tosca de Puccini), la noirceur qu'il assume rappelle l'époque ou cette Place de Grève servait aux exécutions publiques. Il déploie l'intensité et la générosité de son lyrisme comme dans les plus grandes salles d'opéra qui sont ses lieux de travail et d'expression toute l'année durant. Le phrasé est long, nourri pleinement et de part en part, dominant la phalange instrumentale et chorale réunie derrière lui. Il part ensuite pour "La Quête" (de L'Homme de la Mancha), déployant un lyrisme toujours aussi riche mais vers la lumière d'une étoile (bien soutenu aussi dans sa largeur par l'orchestration -de Didier Benetti- aux riches plans se combinant en une dimension épique).
La soprano Zuzana Markova chante (et le public de chantonner avec) le fameux "Casta Diva" d'une voix scintillante comme sa robe bleue, mais elle déploie surtout une vraie et grande ligne de chant lyrique montant jusqu'au sommet demandé par cette partition (tout en gardant les étincelles de son vibrato qui passe lui aussi pleinement et avec naturel même dans le micro). L'agilité de ses vocalises est ruisselante car sur des appuis souples mais fermes, notamment par des réarticulations de phrasés volontaires (sans toutefois perdre la délicatesse de l'assise pour le reste de la phrase). Seule la longueur de l'extrait choisi et enchaîné avec ses vocalises plus rapides encore la mène vers quelques stridences mais sans manquer de souffle.
Marina Viotti complète le tableau des couleurs patriotiques dans sa robe rouge très fendue, tout l'inverse de sa voix pleinement arrondie. Venant du monde des musiques amplifiées, elle maîtrise le micro (trop même, faisant confiance à la sonorisation pour faire passer ses graves trop piano). Elle se fait une joie et un talent de convoquer la participation du public, non plus avec son micro-casque mais micro à la main, pour chanter Edith Piaf d'une voix plus vive mais toujours aussi ample dans l'assise, avec l'accentuation piquée et pointue d'une chanson de cabaret. Les spectateurs sont ravis de pousser la voix, certains pensant même que le refrain est "Paname Paname" ou bien choisissant ce petit changement de consonne pour mieux l'adapter encore à la circonstance.
Cassandre Berthon chante la Barcarolle en duo avec elle, puis en soliste "O mio babbino caro" et "Les Chemins de l'amour". Sa voix déploie l'épaisseur du timbre par un vibrato très prononcé sur la hauteur des notes et des accents expressifs, déchirants, à l'image de son interprétation très incarnée, les bras figurant un berceau la portant à travers les joies et les peines. D'autant qu'elle ne se facilite pas la tâche en choisissant des tempi lents (s'approchant de la durée que Jessye Norman donnait à cette mélodie de Poulenc).
Ses prestations sont également très applaudies.
Le chœur réunit plusieurs phalanges (Les Métaboles, la Maîtrise de Paris, le Chœur de Grenelle). Le résultat est toutefois très homogène car appliqué, notamment le "Va pensiero" (rejoint lui aussi par les chantonnements du public), bien en place, et se projetant dans les nuances forte.
D'une manière générale, les microphones captent à la fois l'ambiance et le détail des phrasés des instruments. Les tenues graves ont tendance à générer des Larsen mais les conditions sont assurément complexes et la régie parvient à diffuser la précision des bois et, surtout, aussi bien le claironnant que la délicatesse des cuivres. L'Orchestre, en tenue de concert (avec pour certains simplement un tissu pour protéger le côté de leur instrument du soleil, ou bien leurs yeux avec quelques paires de lunettes, voire une casquette) vise à bien anticiper les rythmes pour que les phrasés passent sans délais la sonorisation. Ils sont plus qu'aidés en cela par la direction du chef Giacomo Sagripanti qui met dans sa précision toute l'élégance de sa mise et de son port, rendant sa baguette d'autant plus longue, fine et souple.
Des élèves des conservatoires de la Ville de Paris rejoignent avec application l'orchestre pour l'Hymne à la joie de Beethoven et la Quadrille de Carmen, reprise en Bis. Le public chante et frappe des mains, certains imitent le chef d'orchestre, des parents font danser leurs bambins (une bonne technique tout au long du concert pour les maintenir concentrés et imprégnés de l'esprit musical).
Les mélomanes aguerris ou non auraient sans aucun doute rêvé que la soirée se poursuive, notamment et justement tant qu'à réunir de telles voix, pour une version de l'opéra de Bizet qui aurait été mémorable : avec Marina Viotti en Carmen, Michael Spyres en Don José, Ludovic Tézier en Escamillo, Cassandre Berthon en Micaëla et Zuzana Marková en Frasquita !
Hélas les deux heures de ce concert ont sonné (au moment du début d'un match de football de l'équipe de France à l'Euro).