Orphée coloré avec Jordi Savall au Château de Versailles
L'atmosphère fraîche et printanière, avec les artistes pieds nus, dans des costumes colorés et simples (de Bernadette Villard), est en pleine harmonie avec l'ambiance du début de cet opéra, s'ouvrant sur le mariage d'Orphée et Eurydice. Les danseurs Yannick Bosc, Loïc Faquet et Antoine Lafon accompagnent les chanteurs dans des chorégraphies d'allégresse communicative, en cercle et en parsemant la scène de roses. Les couleurs se diffusent ainsi de plus belle, pour d'autant mieux disparaître à l'annonce de la mort d'Eurydice. Sous la neige, le chœur retire lentement les fleurs, tel un cortège en deuil. Le décor (d'Emmanuel Clolus) dépouillé de tout artifice symbolise le néant dans lequel plonge Orphée pour retrouver Eurydice, pour se confronter avec le Dieu des Enfers accompagné de ses disciples en combinaisons noires. Orphée l'emportera, mais pas au paradis avec Eurydice : un regard final de trop et c'est bien l'obscurité qui demeurera.
Tout en laissant une grande liberté musicale aux solistes, Jordi Savall dirige son Concert des Nations ainsi que le Chœur de l’Opéra Royal de Versailles avec dynamisme. Les trompettes introduisent majestueusement l’œuvre depuis les balcons, à l'image du reste de la prestation instrumentale, et du Chœur maison, tout aussi performant et d'une gaieté communicative. Le son harmonieux des phalanges se déploie également dans les montées expressives, de joies (avec des musiciens sur scène) comme il plonge avec la même intensité dans les enfers et les douleurs.
Marc Mauillon plonge lui aussi, dans l'incarnation d'un Orfeo des plus malheureux, déjà manifesté par sa réserve lors du mariage, pour se faire plus intense et sombre ensuite. Sa voix, d'abord pincée, agile et colorée, se fait plus charnue voire coriace.
La soprano Marie Théoleyre en Musique, puis en Eurydice, s'adresse solennellement au chœur et directement au cœur, avec théâtralité. En revêtant sa robe de mariée tombée des cieux, elle déploie la maîtrise de ses phrasés, dévoilant des vocalises à la fois confiantes et souples.
La mezzo-soprano Floriane Hasler incarne une messagère sensible. Elle annonce la terrible nouvelle du décès d’Eurydice avec une projection assurée, en accentuant son vibrato pour rendre sa lamentation plus convaincante.
La mezzo-soprano Marianne Beate Kielland, en Speranza et Proserpine, déploie un discours rond et expressif, bien que les fins de phrases manquent parfois de soutien, entraînant une légère baisse de justesse.
Pluton et Charon sont confiés par la basse Salvo Vitale, dont les interventions sont bien déclamées, malgré quelques défauts de justesse et quelques graves effacés.
Le baryton Furio Zanasi incarne un Apollon tenace en traduisant un caractère téméraire. Sa voix est certes un peu frêle, mais d'une belle musicalité.
Les solistes du Chœur s’appliquent à rendre le texte vivant et significatif. Le ténor Victor Sordo déclame avec une voix légèrement voilée mais voluptueuse en 1er Pasteur et 2ème Esprit. Le contre-ténor Arnaud Gluck en autre Pastore et Spirito a une voix légère et souple. Matteo Laconi est en outre un Écho souple et brillant. La basse Nicolas Certenais pose chaque mot avec une voix aux graves caverneux et bien projetés. Enfin, membre de l’Académie de l’Opéra Royal, la soprano Pauline Gaillard est une nymphe coquette avec un timbre de voix lisse et une prononciation remarquablement distincte.
Le public accueille chaleureusement cette reprise du premier chef-d'œuvre du premier génie de l'histoire de l'opéra.