Carmina Burana : Ô fortune, Ô bel été à Flagey !
La radicalité des textes se retrouve dans la direction énergique de Kazushi Ono. Si le chef d’orchestre a dû se retirer de la direction de "Turandot", présentée en même temps à La Monnaie de Bruxelles, pour des problèmes de santé, c’était pour mieux se focaliser sur "La Roue de la Fortune". Au service de la musicalité de Carl Orff et de l’ode au printemps du texte, le solstice d’été arrive enfin, signant la fin de ce drôle de mois de juin pluvieux. L’ode au renouveau de la nature printanière, issue du texte, semble rappeler ironiquement que nous aurions une saison de retard.
Comme à son habitude, Kazushi Ono réussit à apporter sa touche, signe d’extrême finesse et de maîtrise des amplitudes. Si la Fortuna arrive irradiante et vibrante grâce aux chœurs solennels et puissants de la Radio Flamande, les violons sont fins, subtils et retenus. Les percussions sonnent métalliques et tectoniques sans couvrir l’ensemble, tenu en équilibre. En une heure de temps, les rythmes enlevés soulèvent l’auditoire parcourant cette compilation de 24 poèmes médiévaux abordant en latin, en vieux français et en moyen-haut allemand l’ivresse en taverne, des règles de l’amour, du hasard des jeux, du renouveau et de l’abondance naturelle. Redécouverts en 1803 dans une abbaye bavaroise par le linguiste allemand Johann Andreas Schmeller (qui a ainsi donné ce nom de Chants de Beuern au manuscrit), la musique composée par Carl Orff en 1935-1936 leur assure une amplitude émotionnelle qui fait une fois encore son plein effet sur le public.
Yannick Debus de sa voix de baryton amorce une interprétation solennelle, grave et déployée. Son chant est chaleureux, étiré parfois presque chuchoté. Son phrasé roule, vibrant sur l’accompagnement des violons tirés doucement, tenant la ligne en hauteur. Son interprétation s’adapte à la diversité de la partition : plus modelée lors du passage à la taverne (il joue à monter sa voix, plus acerbe, vive et piquée, les aigus sont poussés volontairement, vibrants et métalliques), plus douce et séduisante pour la cour amoureuse.
Audrey Luna fait de sa voix limpide une figure de raffinement complétant la distribution, basculant dans l’éthéré ruisselant. Les notes coloratures sont offertes généreusement, pourtant acidulées et perlantes. Tenant la respiration en une ligne élévatrice, élégante et solennelle, douce en berceuse, rien ne lui semble difficile.
L’apparence fugace de Lawrence Zazzo et son rôle de cygne prêt à se faire cuisiner à la taverne lui assure le succès du public immédiat (et la compassion de l’auditoire devant sa supplique pour retarder le moment fatidique du passage à table). Arrivant sur scène avec une serviette à la main, le contre-ténor et sa voix aérienne côtoient les cuivres aux sonorités de gallinacé, avant de sortir une fourchette à broche. La voix charnue, déployée et pourtant véloce et précise se dessine, lancinante.
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Carmina Burana sous la direction de Kazushi Ono reçoit un véritable succès témoignant d’un amour de la musique de Carl Orff mais également des textes originaux, servis avec un narratif impeccable, sonnant la fin d’une saison riche à Flagey, justement nommée Season of Delight.
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