Drôle de guerre des divas aux Invalides
La saison musicale du Musée de l’Armée poursuit son cycle intitulé « Duels », en lien avec l’exposition du même nom, avec un programme « Divas en guerre » promettant une joute vocale inspirée de celle que se livrèrent en 1727 les divas Francesca Cuzzoni et Faustina Bordoni, et qui dégénéra en pugilat durant une représentation de l’Astianatte de Bononcini. Face à cette promesse, le public s’attend à entendre de la vocalise au kilomètre et à voir les deux sopranos réunies ce soir se livrer des assauts vocaux, armées de leur virtuosité. Mais c’est finalement une Drôle de guerre qui a lieu en cette Cathédrale des Invalides : une guerre calme dans laquelle la mélancolie l’emporte sur la démonstration de force dans un enchaînement d’arias tendres parmi lesquelles les lignes vocalisantes font figure d’exceptions. Les sourires sont de mise et même les deux uniques duos ont plus des airs de fraternisations que de duels. Avec un tel programme, la bataille ne peut se jouer que sur le plan de l’expressivité. Mais là encore, le pathos des morceaux chantés n’est que peu exalté, les deux chanteuses concentrant leurs efforts sur la musicalité de leur chant. Même lorsque la flûtiste vient se placer en soliste, c’est pour offrir amoureusement ses lignes longues et suaves à la voix de la chanteuse, plus que pour s’y confronter.
Stéphane Fuget, après avoir chaussé ses lunettes, dirige son escouade des Épopées depuis le clavecin, par ses respirations sonores. Lorsqu’il ne joue pas, il se lève pour diriger ses instrumentistes, rebondissant sur ses jambes fléchies, et marquant les inflexions de grands coups secs, comme s’il cherchait à casser une brique de la tranche de sa main. L’ensemble produit un son appuyé, qui emplit la cathédrale de ses traits fins.
Claire Lefilliâtre reprend les airs de Faustina Bordoni d’une voix satinée et souple au timbre chaud et au vibrato léger, les mains croisées devant elle. Elle laisse les résonances de sa voix s’épanouir sous les voûtes des lieux par des silences prolongés, avec musicalité. Ses vocalises sont bien détachées et fluides. Son interprétation laisse toutefois peu de place au théâtre et tous les airs sont chantés avec un même détachement.
Francesca Aspromonte, qui remplace Marie Perbost souffrante, partage son prénom avec La Cuzzoni dont elle chante les parties. Sa voix est épaisse, ferme et pure, nuancée et mordorée. Sa diction est ciselée. Les monts et les vaux de son vibrato épousent les courbes de son chant. Son souffle lui permet de mener ses vocalises avec maîtrise. Presque toujours souriante et joviale, elle mène finalement son principal duel avec son pupitre récalcitrant.
Avant de clore le spectacle, le chef Stéphane Fuget prend la parole avec humour pour expliquer sa vision du programme, provoquant de grands éclats de rire parmi les musiciens comme parmi le public. Si la promesse d’éclats de bravoure n’est pas réellement tenue, il n’en reste pas moins que le récital proposé est d’une grande qualité musicale, que le public apprécie à sa juste valeur.