Récitals de fin d'année au Conservatoire de Paris
Le récital de fin d’année, pour les chanteurs du CNSM, est un exercice particulier et marquant dans leur cursus : il s’agit de monter un programme de 45 minutes environ, composé de pièces d’époques et de langues différentes, destiné à convaincre le jury des qualités techniques, musicales et stylistiques leur permettant de quitter l'école, diplômés.
Mais c’est aussi un petit spectacle en soi : l’élève se met en scène (et en lumière), créant une histoire, un fil rouge ou une thématique, et s’entourant d’amis et collègues musiciens (chanteurs ou instrumentistes), afin de montrer également des talents d’acteur, de musicien d’ensemble, ou de valoriser toute autre corde de son arc.
Lucas Pauchet a choisi de montrer trois facettes d'une personnalité, de bon vivant : l’amoureux, le gourmand et le musicien. Il le fait avec un côté cabotin appuyé, grâce à son timbre séduisant et brillant de ténor lyrique tirant vers le léger. Son programme, très axé sur le XIXe et début du XXe siècle lui permet de valoriser un instrument dans l’ensemble équilibré et solide, avec une projection constante et bien construite, un souffle bien dosé, une prononciation soignée et une souplesse appréciable, sans jamais forcer le volume ou brutaliser sa ligne de chant tonique et flexible. Toutefois, les aigus paraissent soit trop allégés et systématiquement mixés, soit trop lestés et accusant une intonation un peu basse.
Virgile Pellerin opte quant à lui pour un récital coup de poing, qui commence de manière marquante et néanmoins provocante quand il se présente en immense robe à volants vert-de-gris (son personnage de patronne de lupanar crânement assumé, affichant d’emblée un grand show de Music-Hall ou de Cabaret mais jusqu'à verser dans des slogans et manifestes lus sur scène). Si la voix de contre-ténor diffuse un charme vénéneux et sombre, posée sur un souffle régulier, agrémentée de phrasés soignés et d’un italien travaillé, l’instrument montre ses limites dans les grands airs baroques vocalisants, avec des voyelles trop en arrière et un manque de maîtrise pour la quinte aiguë, notamment dans les parties rapides d'Agitato da fiere tempeste de Haendel. Des soubresauts de son corps trahissent une énergie qui gagnera à être mieux canalisée et les doubles croches ne sont pas régulières dans l'émission.
Clara Penalva déroule un parcours beaucoup plus classique, axé sur la fugacité et la fragilité de la beauté humaine. Virevoltant de la comédie musicale à l’opérette en passant par le grand opéra-comique français, elle offre un portrait sensible de soprano légère. L’égalité des registres demeure perfectible : si les aigus s’avèrent puissants et maîtrisés, même s’ils dénotent parfois d’une touche d’acidité, en comparaison le médium manque encore de profondeur et de soutien. L’instrument demeure cependant fluide et léger, avec des vocalises bien gérées et une ligne à la belle tenue horizontale, notamment dans les airs de Bellezza extraits d’Il trionfo del tempo e del disinganno de Haendel.
Joseph Pernoo choisit de se mettre en difficulté avec un Air de Lenski alliant hélas des défaillances dans l'intonation, un legato et des voyelles manquant de souplesse et de mobilité, le tout sans vibrato et dans un russe approximatif. Il rétablit fort heureusement la barre avec La Courte Paille de Poulenc, puis Le Chant d’Oléron, un cycle inspiré et de sa composition. Mais son écriture se situant dans la droite ligne de l’école française (Fauré, Satie puis Poulenc), l’enchaînement des deux cycles complets ne permet pas d’apprécier son potentiel dans d’autres répertoires. Surtout, sa façon de fixer le son avant de laisser le vibrato s’épancher (de manière d’ailleurs fort puissante au final) et de limiter les aigus à une accroche nasale fait davantage penser (surtout à la vue des tonalités et de la tessiture des deux cycles interprétés) à un baryton dans un registre ténoral qui le met peu en valeur.
Apolline Raï-Westphal allie quant à elle voix rayonnante et homogène, timbre fruité et corsé à la fois, à la musicalité débordante, défendue par des phrasés raffinés. Le médium est chaleureux, égal et fluide, les aigus ronds et bien accrochés, et elle vogue sans encombre de Haendel à Debussy en passant par la Giulietta de Bellini toute de douceur, pour terminer par l’air d’Anne Trulove dans The Rake's Progress de Stravinsky marquant son engagement dramatique. Le tout dans une mise en espace sobre, limpide et efficace, utilisant les tons bleutés et orangés du cyclorama de fond de scène dans cette Salle Rémy-Pflimlin pour créer une ambiance et des ombres chinoises qui racontent beaucoup.
Enfin, Anne-Laure Hulin entraîne l’auditoire dans une mise en scène comique et légère, racontant de manière décalée les 24 heures de la vie d’une Miss France le jour de son élection, depuis le début de la matinée, trainant en chaussons et peignoir sur son sofa, en minaudant l’air de Marie dans La Fille du Régiment de Donizetti, jusqu’au triomphe final avec écharpe scintillante, diadème de circonstance et cérémonie de sacre, parée des suraigus rayonnants du Glitter and Be Gay de Cunégonde dans le Candide de Bernstein bien mené. Elle enlève le tout avec une belle prestation de comédienne aguerrie, un humour évident, une prononciation travaillée dans toutes les langues choisies, un phrasé et une justesse remarquées, mêmes si les aigus sortent un peu abruptement de la ligne et si le souffle manque de régularité, créant des aspérités dans le vibrato (notamment dans le Pianto della Madonna de Monteverdi). Elle fait preuve cependant de sensibilité dans les différents styles abordés.