Fantaisie en décontraction avec Les Frivolités Parisiennes au Musée d’Orsay
Emmanuel Chabrier et Paul Verlaine (grand amateur de musique légère) se sont rencontrés à l’aube de la vingtaine au sein du fameux cercle des poètes parnassiens. Ils témoignent alors tous deux d’une certaine insouciance et d'un réel bonheur de vivre, malgré la dureté des temps. Ils vont ainsi commettre ensemble deux ouvrages bouffes demeurés hélas incomplets. À la verve parodique des créations de Jacques Offenbach ou d’Hervé, succèdent alors, au répertoire, des opérettes reposant sur un humour à la fois plus trivial et bon enfant, mais aussi au charme plus leste, voire scabreux quelquefois. Fisch-Ton-Kan, opéra-bouffe ou parodie chinoise, date de 1863/64. Cinq numéros musicaux subsistent seulement de cet ouvrage (rien des dialogues parlés), comédie en un acte, dont une part de la musique se retrouvera retraduite plus tard dans le chef-d’œuvre de Chabrier, L'Étoile dont la scène du Pal. Au travers d’un exotisme de pacotille, le compositeur s’amuse à parodier l’opéra sérieux et la désuétude des livrets. Cette musique facétieuse trouve tout son relief dans l’air du ténor qui interprète le rôle-titre du Prince tartare Fisch-Ton-Kan, le duo plus lyrique unissant Fisch-Ton-Kan à la fille du Premier Ministre Kaout-Chouc (de l'Empereur de Chine, Kakao), la belle Coulgouly « Je sors d’un long sommeil » et plus encore dans le trio principal, merveille de fantaisie.
De Vaucochard et Fils Ier qui date de la même époque, il ne reste que bien peu de chose. Mais le duo délirant réunissant le baryton et la soprano apparaît comme un must dans le genre.
Dans cette courte partition, les cuivres sont fort sollicités, l’ouvrage se concluant sur une sorte de fanfare militaire fort surprenante.
Toujours de la main d’Emmanuel Chabrier, le Duo de l'ouvreuse de l'Opéra Comique et de l'employé du Bon Marché (1888), fantaisie pour revue de salon, comporte deux couplets incroyables. L’ouvreuse bénéficiaire de l’indemnisation concédée par l’état aux victimes de l’incendie mortel de l’Opéra Comique en 1887 vante les vertus du directeur Léon Carvalho, tandis que l’employé du Bon Marché vante ceux d’Aristide Boucicaut, fondateur du premier grand magasin au Monde, sur la rive gauche, et initiateur d’une pension de retraite pour ses employés... De fait, les deux tourtereaux vont enfin pouvoir convoler en justes noces, le tout sur des couplets complaisants intégrant des effets de Yodel dans le refrain !
Cyprien, ôte ta main de là, n’est pas une œuvre de jeunesse d’André Messager comme on pourrait le croire. Elle fut composée en 1920 afin de s’intégrer à une revue de music-hall représentée alors au fameux Concert Mayol rue de l’Echiquier, avec la grande vedette de l’époque à la scène et au cinéma, Charles Prince dit Rigadin. Le lieu voit défiler depuis son ouverture dans les années 1880 la fine-fleur des artistes du cabaret et de la chanson, dont Mayol lui-même en 1895. Cette fantaisie en un acte sur un livret drolatique de Maurice Hennequin, fait la part belle aux affaires matrimoniales et surtout aux tromperies des uns et des autres. La relation triangulaire traditionnelle mari, femme, amant se trouve traitée avec vivacité et un humour proche de la gouaille et de l’équivoque. Le mari surgit de la salle pour exposer un air énumérant les nombreux amants potentiels de sa femme, tandis que l’épouse de l’amant découvre que son cher mari la trompe. Mais les amants évoqués qui auraient dû être confondus ne sont pas présents ce soir comme prévu au Concert Mayol, mais aux Folies Bergères. De fait, un nouveau couple se forme sous les yeux des spectateurs. La musique de Messager s’avère un régal permanent, avec le duo des chiens totalement délirant par ses séries d’aboiements. Il évoque l’histoire des Capulet avec le lévrier comme emblème et celle des Montaigu et leur levrette.
Tout ce programme indéniablement dans le style des revues parisiennes un rien lestes de l’époque est présenté avec une sorte de volupté par le musicologue Christophe Mirambeau, éminent spécialiste de cette période musicale. Ce concert permet ainsi d’apprécier une nouvelle fois toutes les qualités tant techniques que virtuoses des Frivolités Parisiennes. L’orchestre sonne avec précision et clarté, tout en soutenant une juste dynamique toute teintée d’humour convenant parfaitement à l’interprétation de cette musique dite légère, mais toutefois pas si aisée sous ses dehors bonhomme.
Les quatre chanteurs réunis, déjà partenaires pour la plupart des Frivolités Parisiennes, se donnent sans réserve. Le ténor Mathieu Septier, outre un matériau vocal des plus agréable et fort souple, caractérise chaque personnage interprété avec une conviction sans appel et une présence scénique remarquée. À ses côtés, le baryton Mathieu Dubroca ne démérite pas bien au contraire et sa prestation scénique réjouit à chaque instant. La voix démontre une belle solidité, un timbre franc et direct, et plus encore une ligne de chant constamment soutenue. La soprano Parveen Savart, déjà remarquée récemment dans le rôle de Micaëla avec Carmen dans la production de Sandrine Anglade, laisse sa voix légère et lumineuse s’épanouir dans toutes ses interventions. Marion Vergez-Pascal, mezzo-soprano membre cette saison de l’Académie de l’Opéra Comique, révèle des moyens certains qui ne demandent qu’à s’épanouir et à se singulariser.
Cette soirée courte somme toute (environ 1h20) mais totalement réjouissante en ces temps de morosité ambiante, vaut aux artistes de très vifs applaudissements de la part du public venu nombreux à l’Auditorium du Musée d’Orsay. La saison 2024/2025 poursuivra bien entendu, via ses nombreux concerts, des liens avec les expositions du Musée, notamment dans le cadre cet automne de la vaste rétrospective qui sera consacrée au peintre Gustave Caillebotte, puis au printemps sur l’affiche artistique des années 1880/1900 qui permettra d’évoquer une fois encore l’œuvre de Toulouse-Lautrec entre autres artistes.