Le Met en direct au cinéma 2024/2025 : Ouverture de saison à la française
Ouverture en HD
Le Met ouvre sa saison par une création (Grounded, qui sera également retransmise en direct au cinéma, le 19 octobre) et par Les Contes d'Hoffmann d'Offenbach. Les caméras et les voix auront toutefois comme de coutume le temps de se chauffer et de se préparer à l'événement : c'est la dernière représentation qui est retransmise. Clémentine Margaine, qui a incarné la Carmen de Bizet en direct du Met et qui incarnera Giulietta dans cette production (et donc sur le grand écran) nous parle ainsi de l’événement : « La représentation filmée est le point d'orgue d'une production. Rien ne change concernant le contenu et la performance, mais il y a alors comme un frémissement particulier dans le théâtre : tout le monde en est conscient (les HD Live, retransmis à travers le monde, ont un puissant impact : je reçois ainsi des messages de félicitations, même longtemps après, des quatre coins du monde). Il y a d'ailleurs une répétition spécifique pour le HD LIVE. C'est comme une nouvelle première, mais qui a l’avantage d’être lors de la dernière représentation. Traditionnellement les dernières représentations nous voient beaucoup plus à l'aise, confiants, améliorés aussi des retours. C'est le meilleur moment pour l'immortaliser et le diffuser au cinéma. »
Une expérience que confirme Benjamin Bernheim, qui tiendra le rôle-titre d'Hoffmann (et a déjà été en direct du Met au Cinéma pour Roméo et Juliette de Gounod) : « J'ai déjà participé à des retransmissions en direct, à l'Opéra de Paris, à Vienne, mais à New York avec cette production à l'américaine, cette caméra-travelling qui nous suit tout le long de la scène, cela donne une dimension assez incroyable.
Le "Jour du HD", nous sommes dans un état de grande excitation : on sent quelque chose de très particulier se passer. C'est du vrai direct, sans filet. Nous sommes très concentrés et cela fait partie des expériences uniques d'un artiste, une expérience très forte. »
La retransmission en direct au cinéma est ainsi un point d’orgue à l’image de ce que sait faire l’Opéra de New York : réunir des moyens impressionnants, spectaculaires, aussi bien humains que techniques, pour venir au plus proche de l’émotion artistique et même en l'occurrence des spectateurs dans les cinémas à travers le monde. C’est en tous les cas ainsi que le Met nous est narré par ces artistes, dans cet alliage de professionnalisme et d’un esprit familial. Clémentine Margaine le rappelle ainsi : « J'y ai chanté Carmen fin mai dernier, et Les Contes d’Hoffmann sont ma première production de cette nouvelle saison, c'est donc comme si je poursuivais dans cette maison (après des vacances). Je m'y sens comme en famille, en confiance et en entente, et en même temps avec des conditions de travail d'un professionnalisme optimal.
Au Met tout est extrêmement bien encadré, chaque distribution a une distribution complète de doublures potentielles. Elles sont là même en répétitions, pour que tout se passe au mieux et pouvoir prendre le relai si jamais c’est nécessaire (cela rassure et peut parfois permettre de se ménager). Les répétitions sont nombreuses, y compris sur le plateau, en costumes et avec orchestre. C'est un grand confort, notamment pour une prise de rôle : c’est la première fois que je chante Les Contes d’Hoffmann, or je sais qu’à New York j'aurai les répétitions et le temps nécessaires (même s'il s'agit d'une reprise de production et non d’une création). »
"The Met", une salle de légende(s)
« Je compare beaucoup l'art au sport, poursuit Benjamin Bernheim, et à ce titre, les grandes maisons internationales comme le Met, Bastille, le Royal Opera House et les Staatsoper, ce sont un peu comme les tournois du Grand Chelem au tennis : l'US Open, Roland Garros Wimbledon, l'Open d'Australie... Être "classé" assez haut pour y être invité est déjà extraordinaire. Il faut des années pour construire une carrière, bâtir une légitimité dans ce métier, pour avoir la chance d’accéder à ces grands rôles dans de grandes maisons.
J'aurais dû faire mes débuts au Met plus tôt (huit années avant), mais il y a eu des problèmes d'agenda, de répertoire, et puis le Covid. J'ai donc débuté par le Duc de Mantoue dans Rigoletto, ce qui est très difficile : Le Duc au Met c'est Pavarotti, Piotr Beczała, Marcelo Álvarez, et maintenant moi. Pourtant, ce n'est vraiment pas le rôle dans lequel on veut s'essayer pour une première fois au Met ou dans toute grande maison ! C'est un rôle inscrit dans la légende des ténors, et où l'air le plus attendu arrive à la fin de l'opéra, lorsqu'on est le plus fatigué. J’avais pourtant fait beaucoup de débuts dans de grandes maisons ces dernières années, toutefois le Met représentait un événement, encore différent. Déjà, en termes de presse, de réseaux sociaux, ainsi que de contenus mis à disposition par le Met (ils filment à chaque production, et ces captations de qualité ou des extraits nous permettent de diffuser notre art).
C'est une salle au plus haut-niveau, comme La Scala, Covent Garden ou l'Opéra de Paris, mais avec le cachet américain. La couleur d’Hollywood. C'est en arrivant au Met que je me suis rendu compte de l'aspect cinématographique, du star-system qui y perdure. Pourtant, dans le monde de l’opéra, le chanteur-star a été remplacé ces dernières décennies par le metteur en scène... mais il existe encore à New York : cet artiste, plus important, qui est sur le devant du plateau, sous les feux de la rampe, en première ligne.
Pour moi cela représentait quelque chose de particulier d’y chanter, et d’y chanter en français comme je l’ai fait en Roméo, et désormais en Hoffmann. J'aime beaucoup amener et faire voyager le français dans le monde. »
Les débuts au Met sont en effet une étape marquante, essentielle dans la carrière d’un artiste. Et si y revenir, et y participer à une retransmission en direct au cinéma est une consécration, personne n’oublie non plus ses débuts dans cette salle. Il en va bien entendu de même pour Clémentine Margaine : « Mon agent m'avait parlé d'auditionner pour le Met, pour Carmen. J’étais alors en troupe au Deutsche Oper de Berlin où j'ai vraiment débuté le rôle : beaucoup de maisons m'y ont entendue (une des représentations de Carmen est même devenue comme une immense audition en temps réel, avec beaucoup de responsables de distributions dans la salle, et j’ai décroché beaucoup de contrats dans la foulée).
Toutefois le Met, même après avoir entendu un artiste, tenait à le faire venir, pour l’entendre sur leur plateau. Ils m'ont donc invitée à New York (avec prise en charge) à venir chanter la Habanera sur la scène du Met ! C'était facile pour moi, juste une formalité et j'y ai donc été engagée. J'étais “on top of the world”, je courais autour de Central Park, j'allais dans les clubs de jazz...
Je devais d’ailleurs faire partie de la deuxième distribution, mais au final j'ai fait toutes les dates. C'était une expérience magique. J'avais en mémoire toutes ces stars qui ont chanté sur cette scène : les débuts dans un grand théâtre chargé d'histoire sont toujours très émouvants dans une vie de chanteur. Quand on voit les plus grands noms sur les étiquettes des costumes que l'on porte ensuite à son tour, c'est émouvant.
D’autant qu’il y avait alors peu de Français qui chantaient des rôles de premier plan au Met (Roberto Alagna, Natalie Dessay bien entendu). Ils me trouvaient tellement "Frenchie" (parce que je portais des talons et du rouge à lèvres en répétitions). On m'a toujours dit que j'étais très Française, je le prends comme un compliment [rires]. »
« Pour nous c'est quelque chose de spécial, confirme Benjamin Bernheim : nous sommes les "Frenchies", et nous sommes attendus dans notre répertoire. Cela revêt un aspect particulier d'être les Français, d'amener notre chant, notre répertoire, et de pouvoir ainsi le montrer au monde. »
En français dans le texte
« Quand on chante dans sa langue sur une production, poursuit Clémentine Margaine, les collègues étrangers viennent spontanément nous solliciter pour des conseils, pour savoir comment prononcer tel ou tel mot. Ceci dit, dans une maison telle que le Met, les coachs français sont présents, disponibles, et de qualité : ils veillent au grain (je peux même échanger avec eux sur une liaison, une couleur de voyelle, etc.).
Chanter dans sa langue est un confort, qui donne surtout un accès à une interprétation plus poussée, grâce à un rapport au texte à la fois plus direct et plus distancié quand nécessaire (en jouant sur des allusions, des sous-entendus, des doubles sens).
Le chant français a une ligne dans l'interprétation que la langue française impose, plus simple : on peut moins faire des effets de voix véristes [réalistes italiens, ndlr]. En français, ces longues notes filées, ou tenues, c'est contre-productif. En faire trop, c'est risquer de perdre le sens, même dans le grand romantisme de Gounod, d’Ambroise Thomas : il demeure toujours une dimension simple et directe, requise par l'interprétation.
C'est une ligne de conduite et de travail pour mon interprétation, que j’adapte ainsi notamment à ma voix (de par mon format vocal, j’ai besoin d'une certaine ampleur et d'un élan, d'effets et de couleurs). L'enjeu est de mettre tout cela aussi au service du sens du texte, de la ligne, de la phrase. »
D’autant que le Met permet de sculpter cette qualité vocale, ce qui peut sembler paradoxal pour qui connaît les dimensions superlatives de cette salle (3.800 places, soit 1.000 de plus qu’à Bastille). Et pourtant, comme en témoigne Clémentine Margaine, « le Met ne paraît pas si démesuré car l'acoustique est excellente (Bastille m'a toujours paru beaucoup plus "grande", à emplir vocalement). J'ai toujours été agréablement surprise de cette acoustique : le Met sonne très bien, c'est vraiment facile, je n'y ai jamais été en difficulté. Chaque fois que j'ai demandé si je pouvais aller encore plus piano, on m'a dit oui (aussi car j'ai eu de bons chefs, qui savent maintenir de parfaits équilibres). »
« C'est une acoustique très particulière, confirme en écho Benjamin Bernheim : dans cette salle, nos yeux nous disent qu’il est tout simplement impossible que notre voix puisse ainsi porter. Mais en allant dans le public, en écoutant mes collègues, je me suis rendu compte que ça marche. Et même de manière extraordinaire : on peut apprendre à donner moins pour donner mieux. Les voix qui poussent et forcent pour essayer de se faire entendre davantage se trouvent pénalisées face à des voix en relaxation et en naturel, qui sonnent magnifiquement bien dans cet espace. »
Bien entendu, cette acoustique est aussi précieuse pour Benjamin Bernheim dans son travail du chant français, lui qui est particulièrement reconnu pour cette qualité, lui qui s’affirme dans cette même direction et en fait même un marqueur volontariste (de son art et de sa carrière) : « Il est très important pour moi de chanter en français ailleurs qu'en France aussi, de faire entendre ma vision, ma version du chant français. C'est comme si j'apportais de la terre battue de Roland Garros à l'US Open.
C'est faire voyager mon français, ma diction. Je ne suis pas le premier ténor français à faire ainsi, Roberto Alagna le faisait avant moi, mais il s'est également beaucoup diversifié dans l'italien.
Pour moi, être ainsi revêtu du costume de ténor français actuel pour le répertoire français lyrique-romantique, ça a une certaine importance. »
Deux Frenchies à New York, Roméo et Carmen / Hoffmann et Giulietta
Cette qualité d’ambassadeur du chant français, Clémentine Margaine l’incarne elle-aussi, dans le rôle féminin emblématique du répertoire français : elle a chanté à 31 reprises au Met… 31 fois Carmen. Elle se félicite ainsi au premier titre du duo qu’elle formera dans ces Contes d’Hoffmann avec Benjamin Bernheim : « Évidemment, c'est un artiste que j'admire beaucoup, notamment pour sa diction, son style. C'est la voix de référence actuelle dans le répertoire français.
Je chantais dernièrement la Princesse de Bouillon dans Adriana Lecouvreur à Barcelone avec Roberto Alagna (qui revenait au rôle de Maurizio avec une jeunesse et un brio épatants). Nous parlions des ténors de la jeune génération et nous nous sommes mis à louer ensemble Benjamin Bernheim, pour le fait qu'il chante sur la clarté de la voix. Roberto soulignait combien de ténors chantent désormais sur la couleur barytonnante, cherchant la noirceur. Benjamin non, il est dans cette tradition de ténor solaire à la Roberto Alagna.
C'est magnifique, il fait tout avec une apparente et renversante simplicité. J'ai hâte de chanter avec lui. Je connais bien Benjamin, nous nous sommes beaucoup croisés dans les opéras sur des productions mais différentes, nous avons chanté lors de concerts en commun… mais nous n'avons jamais chanté ensemble. »
Cette rencontre au sommet à la française se fera dans cette nouvelle distribution des Contes d'Hoffmann marquée par des retrouvailles, et même des continuités, comme le souligne Benjamin Bernheim : « Avec Christian van Horn, on ne se quitte plus ! L'année dernière, Alexander Neef (Directeur de l’Opéra de Paris), lors d’un dîner donné par le Ministère de la Culture nous a présentés comme un "couple" : le démon et la victime, car nous avons fait ensemble Faust et Les Contes d'Hoffmann (et je viens de les chanter à nouveau avec lui à Salzbourg). Nous nous en réjouissons, c'est vraiment merveilleux de pouvoir compter sur des collègues avec lesquels on aime partager la scène.
Ce sont aussi des retrouvailles avec Erin Morley, ainsi qu'avec Pretty Yende (nous avons chanté ensemble La Traviata, mais également Les Contes d'Hoffmann à Paris l'année dernière). Quant à Marco Armiliato, il fait partie des chefs d'orchestre avec lesquels on peut se laisser aller : il est là en toute circonstance, pour nous, pour les chanteurs, c'est un vrai chef d'opéra et de répertoire. On peut compter sur lui. Je me réjouis de cette équipe autour de moi et de cette chance de chanter ce répertoire au-delà de la France et même de l'Europe. »
Une certaine idée de la France
Le fait d’apporter son répertoire national à l’étranger est ainsi particulièrement marquant et important pour les artistes (a fortiori lorsque leur prestation se voit ainsi diffusée à travers le monde au cinéma). Et cet universalisme de l’art français résonne tout particulièrement pour cette œuvre, pour Benjamin Bernheim également : « Je trouve l’histoire d’Offenbach extraordinaire. Celle d'un homme, juif, né en Allemagne, qui se retrouve très jeune à Paris et va devenir un symbole du Tout-Paris, de la France. Il y parvient jusqu’à ce chef-d’œuvre que sont Les Contes d'Hoffmann, et par sa musique d'opérette : un genre qui, sous ses apparences légères et amusantes, permet de traiter de sujets très sérieux : des tyrans, de la pauvreté des classes sociales, des injustices, mais toujours sur le ton de la rigolade et du "cancan".
Ce parcours modèle rejoint l’esprit de mon deuxième album, Boulevard des Italiens, qui traduisait aussi les mouvements culturels migratoires, ce que représentait l'Europe : Paris, sans les compositeurs et les artistes étrangers, ce n'était pas Paris. Et les artistes étrangers n'étaient pas "adoubés" s'ils n’avaient pas réussi à Paris.
Hoffmann est un rôle que j'ai découvert grâce à des enregistrements de Salzbourg dans les années 1980 avec Plácido Domingo et José van Dam. Les Contes d'Hoffmann, ce n'est pas un opéra habituel, c'est un “opéra fantastique” comme il est écrit sur la partition. C'est le monde d'Hoffmann et d'Offenbach, un monde imaginaire, cauchemardesque et de rêve à la fois. Hoffmann pour moi, c'est comme Traviata pour une soprano : trois rôles en un (un jeune, un plus mature et enfin un plus blasé, déçu par la vie et l'amour, qui rend les armes). C'est ce que j'aime dans ce rôle : il me donne la capacité de montrer en une soirée les couleurs de plusieurs étapes d'une vie. »
Inachevé - Parachevé
« Devant ce chef-d’œuvre que sont Les Contes d’Hoffmann, on regrette amèrement qu’Offenbach n’ait pas eu le temps de composer d'autres opéras dramatiques, corrobore Clémentine Margaine. J'adore ses chefs-d'œuvre d'opérette mais cette œuvre est tellement complexe. Le livret est très intéressant et (à l’image d’un sommet tel que Carmen) ses airs restent en tête et demeurent des tubes : avec une ligne très simple et un génie d'orchestration, c'est la recette du génie populaire ! C'est un mélange de feu d'artifice, et de pure poésie orchestrée.
Je ne m’attendais pas spécialement à ce qu’on me propose ce rôle de Giulietta, mais l’idée m'a beaucoup intriguée et intéressée. Certes, le rôle n’est pas parmi les plus longs du répertoire, mais il fait partie de ces rôles-clefs pour le drame, pour cette œuvre qui est absolument magnifique. Le rôle de Giulietta se joue sur un acte (en cela, c'est un peu l'inverse d'un premier et grand rôle comme Carmen). Le défi est alors de marquer immédiatement dans le rôle, d'imprimer sa personnalité vocale et artistique et de comédienne : afin de les faire exister et d'en laisser l'empreinte dans l'esprit du spectateur.
C'est un peu la différence entre un marathon et un sprint : il faut arriver d'emblée rechargée pour Giulietta, il n'est pas question de chauffer. Il faut immédiatement et pleinement la vivre émotionnellement, théâtralement et vocalement. C'est aussi passionnant (d'ailleurs j'avais vécu une expérience un peu similaire en chantant la Sphinge à l'Opéra de Paris pour l'Œdipe d’Enesco, un rôle encore plus court mais dont tout le monde m'a parlé, aussi en raison de la mise en scène).
L’enjeu de Giulietta consiste à chanter avec Hoffmann qui, lui, traverse tout l'opéra (il a vécu un certain nombre d'épreuves avant d'arriver vers la barcarolle de Venise). Il faut intégrer cela à l'impact dramatique (pour cette raison et pour ce faire, je tiens à assister au maximum de répétitions, pour voir l'avant et l'après de mon acte, pour avoir la vision du tout, s'imprégner du projet et de l'univers dans son ensemble).
Au final, Olympia, Antonia, Giulietta et Stella sont a priori le même personnage, comme pour les quatre diables, et les quatre valets (qui seront interprétés chacun par un seul interprète à New York : respectivement Christian van Horn et Aaron Blake). C'est donc d'autant plus intéressant de voir ce que mes collègues vont proposer pour compléter les différentes facettes de cet universel féminin.
La distribution est d’ailleurs fort choisie : avec Vasilisa Berzhanskaya en Nicklausse/Muse, Erin Morley en Olympia, Pretty Yende en Antonia/Stella et pour moi Giulietta, qui est d'une certaine manière “la Carmen” des Contes d'Hoffmann, avec cette noirceur dramatique et vocale. C'est une manipulatrice (qui est elle-même manipulée par le magicien : le capitaine Dapertutto). C'est pour cela sans doute que le Met voulait une voix disposant d'une couleur plus sombre. Ne pas prendre la même chanteuse pour les quatre rôles féminins que sont Stella, Olympia, Antonia et Giulietta permet de choisir quatre vocalités différentes, qui vont apporter leurs richesses à l'histoire et à la partition. »
La richesse de cet opus est d’autant plus remarquable qu’Offenbach n’eut pas le temps de l’achever, ce qui entraîne aussi une autre forme de “richesse” ou plutôt de diversité : dans le nombre et les choix des versions possibles. Un point que nous détaille richement Benjamin Bernheim, décidément familier du rôle et de l’opus : « Je trouve assez fabuleux de concevoir un opéra qui parle de l’homme en profondeur, avec ses rêves et ses démons. C’est d’une tristesse absolue, comme Turandot de Puccini (qu’il n'a d’ailleurs pas non plus eu le temps de finir). D'autres les ont achevés pour eux, mais aujourd'hui encore tout le monde se bat pour donner "la" version d'Offenbach des Contes d’Hoffmann (ce qui est impossible pour une œuvre inachevée d'un tel génie).
Je pense que Les Contes d'Hoffmann doivent être “digestes” pour le public et pour les interprètes qui le défendent sur scène. À ce titre, et même si je m'attire des ennemis en disant cela, ma préférence va à la version des éditions Choudens (qui a causé bien des controverses dans le monde des musicologues).
C'est la version qu'on donne à Paris, Londres et New York. C'est la version pour laquelle on peut remplacer un chanteur s'il tombe malade (alors que pour trouver un chanteur qui connaisse d'autres versions, bon courage). Pour remplacer Traviata, il suffit de trouver une chanteuse qui connaisse La Traviata, pour Rodolfo il suffit de trouver un chanteur de La Bohème (il n'y a qu'à se mettre d'accord sur la tonalité de l'air).
Les Contes d'Hoffmann sont un tel puzzle musical et dramaturgique, qu'il faut pouvoir s'en tenir à une version dans les grandes maisons. Et cette version Choudens (certes revisitée par l'Opéra de Paris) me semble la plus adéquate, pour raconter une histoire (sans avoir à doubler, tripler des duos et trios qui finissent par ne plus rien dire : on comprend l'histoire immédiatement). Sauf bien entendu si un enjeu dramaturgique est pensé. Pour faire voyager et rêver le public, il faut pouvoir lui donner une version compacte et qui se tienne (sur le plan de l'histoire et sur le plan musical). La version Choudens, même avec ce fameux septuor (qui n'a pas été composé par Offenbach) à la fin de l'acte de Giulietta apporte une dimension dramatique, spectaculaire, qui fait partie désormais de la légende des Contes d'Hoffmann et que le public attend. Il en va de même pour l'air "Scintille, diamant" qui fait également partie de la légende d'Hoffmann. Pour avoir chanté des versions sans ces passages, je peux vous dire que le public en est déçu. »
Un Classique
Au final, c’est donc un grand classique qui s’annonce pour l’ouverture de la saison au Met et ses retransmissions en direct dans les cinémas. Un classique aussi dans la mise en scène de Bartlett Sher, dont nous parle le ténor-vedette : « J'ai fait un essayage costumes à la fin de la production de Roméo et Juliette au Met, on m'a montré beaucoup d'éléments sur cette production. Elle raconte vraiment l'histoire et met l'accent sur le chanteur, à l'américaine : chaque chanteur et chaque personnage est une star, mise en avant. À l'image de la production de Roméo et Juliette que j'ai chantée au Met, également mise en scène par Bartlett Sher, cette version des Contes d'Hoffmann propose ainsi une vision plus "traditionnelle", ce qui devient presque rafraîchissant, voire audacieux tant les mises en scène d'opéra en Europe peuvent revisiter les œuvres (ce qui a aussi tout son sens : l'art et la culture demandent des propositions, qui fassent aussi réagir, qui osent). J'ai aussi bien aimé chanter le Roméo et Juliette par Bartlett Sher au Met, que celui de Ted Huffman à Zurich et de Thomas Jolly à Paris, comme j'aime participer à des mises en scène de Zeffirelli.
C'est une chance. Autant les chanteurs ne sont plus traités comme auparavant (nous ne sommes plus révérés comme les chanteurs-stars absolus d'il y a 30-40 ans), autant nous avons la possibilité de montrer énormément de nous-même, comme chanteurs et comme acteurs. A fortiori lorsqu'on a la chance d'arriver, comme c'est mon cas, à un niveau permettant de choisir ses projets. »
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