On aura tout vu : café-concert bien vivant au Théâtre des Bouffes du Nord
Le programme proposé replonge les spectateurs au cœur des cafés-concerts d'antan, dans la fantaisie de la Belle Époque et des Années Folles à travers un répertoire de chansons emblématiques. Des morceaux tels que Paris ! de Georges Millandy et René Mercier, Je te veux d'Henry Pacory et Érik Satie, ou encore Le Mouchoir rouge de Cholet de Théodore Botrel sont ainsi remis en lumière et assurés de résonner longtemps à nouveau dans les oreilles et l’esprit du public.
Le spectacle plonge dans l'ambiance des cafés-concerts de la Belle Époque et des Années folles, abordant frontalement des sujets comme la guerre, la misère, les rapports humains et sociaux, mais toujours avec esprit, une touche légère, décalée, comique, burlesque (voire tout cela à la fois).
La soirée commence dans une salle plongée dans le mystère : une grande boîte noire au centre de la scène fait l'objet de divers travaux pendant toute la représentation. Les quatre personnages de l'œuvre s'affairent à transformer cet objet, dévoilant des surprises comme des escaliers, une scène, un café parisien, et même un mini plateau tournant manipulé avec précision pour faire apparaître les comédiens comme dans une boîte à musique (avec danseuse au milieu). La mise en scène conçue par Flannan Obé apporte un dynamisme constant, tissant de multiples histoires avec le répertoire choisi.
Flannan Obé joue également lui-même un personnage, énergique et sage, souvent présentateur des histoires. Sa puissante voix de ténor, bien qu’elle emploie une technique parfois forcée, apporte une chaleur qui caractérise son timbre. Son jeu scénique et ses vocalises exagérées plongent le spectateur au cœur des situations proposées.
Marie Gautrot incarne un personnage complexe, parfois séducteur, parfois fragile, mais toujours malin et souvent sensuel. Sa voix est aussi dynamique que son jeu scénique, passant d'un timbre pointu et puissant à une tessiture charpentée, puis à des vocalises plus fragiles et un timbre chaud. Sa prononciation, parfois exagérée (comme pour s'approcher d'Édith Piaf) s'adapte parfaitement aux caractères qu'elle incarne.
Pierre Lebon contraste avec le reste des personnages, jouant d'une verve populaire et comique l'incompris dynamique. Sa voix emploie une tessiture lyrique avec un timbre un peu brillant mais puissant. Sa déclamation des mots s'adapte à chaque situation, tout comme son jeu flexible passe du burlesque à l'apparence de sérieux, tout en empoignant des objets (comme des mouchoirs pour représenter le sang ou des draps pour imiter des ailes d'ange). Il est d'ailleurs créateur des décors et costumes, dans cet esprit de tréteaux, de boulevard, de caf'conc'.
Enfin, Delphine Dussaux se démarque par son absence totale de sourire, incarnant un personnage atypique mais en cela aussi expressif. Elle anime la musique du piano, accompagnant chaque intervention avec agilité et équilibre, mais elle donne aussi de la voix, non sans agilité technique et parcours de la tessiture.
La création lumières d'Ingrid Chevalier et la régie générale/lumières dirigée par Bertrand Killy ajoutent une dimension visuelle captivante, adaptant les ambiances lumineuses à chaque tableau, comme l'interpellation de Marianne avec le drapeau de la France.
“On aura tout vu” au Théâtre des Bouffes-du-Nord par le Palazzetto Bru Zane est ainsi bien plus qu'une réminiscence des cafés-concerts parisiens : c'est une réinterprétation audacieuse et vivante d'une époque, portée par une équipe artistique engagée et une mise en scène astucieuse. De quoi immerger le public dans cet univers où l'humour et la fantaisie se mêlent à des thèmes profonds, créant une expérience théâtrale à la fois divertissante et réfléchie : une expérience visiblement fort appréciée par le public qui lui décerne un beau succès.