Fidelio avec Dudamel à la Philharmonie de Paris : Singing and Signing
Ce concert est également "chansigné", dans la langue des signes internationale, tout en visant à rappeler que la musique se ressent aussi physiquement à travers les vibrations et visuellement avec les émotions. Le choix du Fidelio de Ludwig van Beethoven est aussi un clin d'œil au plus célèbre compositeur ayant perdu l'ouïe.
Le réalisateur, scénariste et producteur de cinéma vénézuélien Alberto Arvelo a dédoublé chacun des personnages, un chanteur interprétant la partie lyrique et un acteur transmettant les émotions à travers une combinaison complexe de gestes et de langue des signes.
Au premier acte, cette duplication apporte une gestuelle presque chorégraphique et d'une certaine élégance. Les voix se mélangent avec la gestique de leur double, en phase avec la musique et l’action. Cependant, par la suite, l’effet de surprise du dédoublement a tendance à produire un effet de redondance attirant le regard et l'éloignant des chanteurs qui restent de marbre (effet renforcé par leur tenue blanchâtre) souvent éloignés les uns des autres sur scène. Les retrouvailles entre Fidelio redevenue Léonore et son mari Florestan sont des plus distantes, un rien glacial côté chanteurs (qui doivent de surcroît rester immobiles lors des longs dialogues parlés).
Une certaine confusion joyeuse prend toutefois des allures carnavalesques sur le plateau (éludant quelque peu la portée philosophique de l’opéra) avec le chœur des prisonniers ainsi qu’un chœur d’acteurs en langue des signes pour la scène finale vibrante et assourdissante.
Dans le rôle-titre, Tamara Wilson montre des moyens solides, notamment au niveau d’une diction et d'un phrasé irréprochables. La voix inégalement projetée (très en retrait dans les ensembles) manque cependant de chaleur dans le registre medium et ne s’épanouit que dans le registre aigu. La palette émotionnelle est restreinte avec quelques envolées non abouties, là où son double Amelia Hensley, se montre au contraire fougueuse et émouvante. C’est seulement lorsqu’elle révèle son genre, qu’elle s’empare vraiment de ce rôle de femme prête à tout pour sauver son époux.
Le ténor Andrew Staples est un Florestan héroïque à la voix claire, bien projetée, aux registres maîtrisés et au phrasé précis. Cependant, son chant n’est pas assez nuancé pour incarner un homme souffrant, au bord du tombeau. Lui aussi est comme dominé par un double bien plus expressif et convaincu (Daniel Durant).
La voix incisive du baryton-basse James Rutherford convient pour le rôle du geôlier Rocco mais il manque de diversité dans les intentions, au contraire de son double Hector Reynoso. Il en va de même pour l’autre baryton-basse Shenyang dans le rôle de Don Pizarro. La voix est percutante mais sans grand relief. Son alter ego Giovanni Maucere exagère le rôle, gesticulant dans tous les sens.
Patrick Blackwell complète ce trio en interprétant le rôle de Fernando d’une voix grave manquant de puissance et de brillance pour assoir son autorité de ministre venu rendre justice. Son double, Mervin Primeaux-O'Bryant, est quant à lui à la limite de la caricature.
Gabriella Reyes incarne Marzelline, la fille du geôlier, d'une voix souple au timbre chaud et velouté. L’aisance vocale traverse la tessiture et son chant projeté est éclatant de vitalité, en osmose avec son double virevoltant et énergique interprété par Sophia Morales. Elles s’accordent avec l'acteur Otis Jones et avec David Portillo dont la voix claire de ténor également bien projetée convient pour le rôle de Jaquino.
Les membres du Coro de Manos Blancas, du Chœur du Grand Théâtre du Liceu et du Chœur de Chambre du Palais de la Musique Catalane assurent les parties chorales avec conviction, bien préparés par leurs chefs respectifs.
Dès l’ouverture, Gustavo Dudamel exploite la réactivité de l'Orchestre philharmonique de Los Angeles ainsi que la spatialisation résonante de la salle Boulez de la Philharmonie. Le chef dirige ses musiciens avec précision et clarté (sans conducteur) alternant des passages dynamiques, parfois véhéments (en phase avec le côté démesuré de Beethoven, fervent combattant pour la liberté), tout en maintenant la fraîcheur mozartienne attendue par endroits. Certains effets dramatiques sont bien pensés mais le côté passionnel disparaît de nombreuses scènes.
Les applaudissements dans la langue des signes d'une partie de la salle de la Philharmonie de Paris ne peuvent qu'émouvoir, devant ces témoignages heureux, d'une inclusion salutaire.