Matthieu Dussouillez : « Tisser des projets qui ont du sens avec les moyens disponibles »
Matthieu Dussouillez, la saison en cours avait dû être remaniée pour faire face au contexte économique inflationniste. Comment la situation a-t-elle évolué depuis pour l’Opéra national de Lorraine ?
La situation a évolué selon les prévisions que nous avions faites lorsque nous avons pris la décision d’ajuster notre saison : comme attendu, les marges artistiques se sont réduites et les coûts de production ont augmenté. Les données financières ne sont clairement plus celles que j’ai connues à mon arrivée en 2019. Grâce aux ajustements mis en place, nous obtenons un équilibre financier correct mais fragile. J’ai conçu la saison 2024-2025 dans un contexte de moyens toujours réduits, même si cela n’est pas visible de prime abord car nous avons programmé un nombre important de titres, ce qui nous permet de brasser tous les répertoires. Nous offrons également de nombreuses opportunités au public de découvrir un grand nombre de propositions artistiques : nous aurons un nombre de levers de rideau équivalent voire légèrement supérieur à l’an dernier. Nous avons en fait surtout opéré des choix dans les projets, et dans la forme qu’ils prendront : nous avons travaillé l’optimisation de notre organisation, par exemple dans les imbrications des productions et l’implication des forces artistiques. Si nous n’avons pas attendu cette crise pour travailler en coproduction, nous continuons de chercher de nouvelles collaborations permettant encore davantage d’économies. Notre objectif est toujours de tisser des projets qui ont du sens avec les moyens disponibles.
Vous vous félicitiez l’an dernier du retour du public : le bilan est-il toujours positif un an plus tard ?
Absolument. C’est plaisant, et même grisant de constater que sur des productions exigeantes comme Le Lac d'argent de Kurt Weill, nous avons attiré plus de 4.000 spectateurs, avec un enthousiasme incroyable, y compris des personnes qui n’étaient jamais venues à l’opéra. Je défends beaucoup l’idée de construire des saisons d’opéra avec des équilibres, notamment entre des productions rassurantes (tout en restant dans notre ligne artistique) et des productions plus audacieuses afin de susciter l’intérêt dans notre réseau, d’attirer de nouveaux spectateurs et de stimuler la curiosité de notre public existant de manière large dans notre agglomération de plus de 100.000 habitants. Le succès de cette démarche se reflète dans la fréquentation, avec un public qui nous suit et est heureux de faire partie de cette dynamique. Nous avons des salles pleines avec des taux de fréquentation frôlant régulièrement les 100%. Cinq ans après mon arrivée, le projet que nous mettons en place donne des fruits et crée une dynamique que nous ressentons au quotidien. Je crois aussi que ce sont les fruits de notre projet Nancy Opéra Citoyen 2025 qui nous amènent à inventer un opéra pour toutes et tous par toutes et tous.
Le fil conducteur de votre programmation est cette année la Transgression : en quoi cette thématique vous intéresse-t-elle ?
Cette thématique s’est tissée à partir de notre première production, Héroïne, qui associera trois œuvres rares. Sancta Susanna est une œuvre très transgressive puisque blasphématoire, tandis que Judith, dans Le Château de Barbe-Bleue, transgresse l’interdit de son mari. La Danse des morts est une transgression d’Honegger lui-même par le sujet et la musique, avec l’utilisation de comptines populaires (comme Sur le pont d’Avignon, Dansons la Carmagnole…) dans un canon délirant. Finalement, la transgression parcourt toutes les autres œuvres, la transgression d’Angelina dans Cenerentola, les pulsions transgressives d’Oneguine et de Tatiana, la potion charlatanesque de Dulcamara dans L'Élixir d'amour. On retrouve également une transgression dans la forme à travers le projet NOX et la création des Incrédules ou encore avec L'Avenir nous le dira. Il existe des transgressions négatives, mais aussi des transgressions positives, que l’on pourrait presque qualifier de transfigurations. L’art ne peut pas arrêter les guerres ni empêcher le désastre écologique, mais il peut réveiller le sensible chez chacune et chacun.
La saison démarrera donc en octobre par le triptyque Héroïne, composé de Sancta Susanna, Le Château de Barbe-Bleue et La Danse des morts. Comment décririez-vous ce projet ?
Nous proposons en trois volets une très grosse soirée d’opéra, avec des titres artistiquement ambitieux, tant sur le plan musical que sur le plan scénique. Pour autant, ces choix de titres impliquent un nombre limité de chanteurs. Ces trois titres seront présentés en une seule production : leur association est pertinente d’un point de vue tant dramaturgique que musical. Le récit du metteur en scène, qui va relier ces trois œuvres, interrogera notre monde.
Comment avez-vous construit cette association ?
À l’origine, j’avais embauché les principaux chanteurs afin de programmer Turandot de Busoni. Néanmoins, la distribution est large et je ne trouvais pas de Calaf, un énorme rôle de ténor. Ce spectacle nécessitant également des moyens pour la mise en scène afin de traduire le côté fantasque de cette œuvre. J’ai dû me rendre à l’évidence à la fin de l’année 2022 qu’en raison de l’inflation déjà très forte, nous devions renoncer à ce titre. Étant donné que j’avais déjà engagé Rosie Aldridge pour interpréter le rôle de Turandot et Joshua Bloom pour le rôle le Père, j’ai eu l’idée de faire avec eux Le Château de Barbe-Bleue. J’ai ensuite décidé d’y associer deux autres œuvres pour construire ce triptyque. Cela faisait longtemps que je souhaitais faire Sancta Susanna. C’est un véritable coup de poing, assez génial à vivre. De même, j’aime l’inspiration délirante à tout point de vue qu’offre La Danse des morts d’Honegger. Ce n’est qu’après que j’ai découvert le metteur en scène Anthony Almeida dans un concours organisé par Opera Europa : je lui ai parlé de ces œuvres, et il est revenu vers moi avec un projet cohérant liant les trois. Sancta Susanna sera la naissance, Le Château de Barbe-Bleue le mariage et La Danse des morts le décès. L’œuvre racontera donc le parcours d’une femme à travers les grandes étapes possibles d’une vie.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces trois œuvres et pourquoi ne sont-elles pas plus représentées selon vous ?
Ce sont des opéras du début du XXème siècle dont je veux présenter des œuvres chaque saison. Ce sont des œuvres qui sont courtes et qui se prêtaient bien à une soirée thématique, à la création d’un objet artistique unique offrant plusieurs portes d’entrée. D’un point de vue musical, ce sont des œuvres qui dialoguent et qui se complètent très bien. Elles sont rarement données car elle doivent être associées à d’autres opus. Pour Sancta Susanna, le défi était de trouver une chanteuse qui soit en mesure techniquement de chanter le rôle-titre, mais qui accepte aussi de se confronter à ce que le metteur en scène pourrait lui demander, car le livret est subversif et blasphématoire. Peu de gens connaissent l’oratorio La Danse des morts, ce qui explique qu’il soit peu représenté. Cela représente également un objectif : pour un Opéra National à Nancy, il est important de susciter l’intérêt d’un réseau national et international, grâce à une œuvre méconnue. C’est même là le salut d’un opéra en région : créer des évènements qui ont un retentissement. Nous devons être une source d’attraction pour la ville et pour le réseau.
Pourquoi avoir confié la baguette à Sora Elisabeth Lee ?
Je l’ai entendue diriger au pied levé Les Oiseaux à l’Opéra du Rhin : elle a une énergie singulière. C’est assez spectaculaire et rayonnant de la voir au pupitre. Son travail musical et son exigence sont très sérieux. Je voulais que ce parcours de notre Héroïne soit défendu par une cheffe de talent.
Comment avez-vous conçu la distribution de ces trois opus ?
Je suis très heureux qu’Anaïk Morel ait accepté de s’attaquer à Susanna, car elle a été sensationnelle en Nourrice dans Ariane et Barbe-Bleue. En Judith, nous aurons Rosie Aldridge, qui est venue à Nancy pour Les Hauts de Hurlevent et qui est aujourd’hui une mezzo-soprano dont la richesse vocale et la tessiture l’amènent sur les plus grandes scènes internationales. Joshua Bloom sera le Comte de Barbe-Bleue. Dans La Danse des morts (bien que nous les verrons aussi dans les deux précédentes œuvres), le rôle de soprano sera assuré par Apolline Raï-Westphal qui est une très belle découverte, et le baryton sera Yannis François. C’est une belle équipe !
Pour Noël, vous proposez une production de La Cenerentola par Fabrice Murgia : pourquoi l’avoir choisi ?
Fabrice Murgia est déjà venu à Nancy pour Le Palais enchanté, un projet que nous avions initié avec Laurent Joyeux [dont Matthieu Dussouillez était alors l’adjoint, ndlr] à Dijon et dont j’avais souhaité, à ma nomination, que Nancy soit coproducteur. Fabrice Murgia y avait excellé : c’était une histoire alambiquée à laquelle il a apporté beaucoup de clarté et d’intelligence. J’ai également eu l’occasion de découvrir son Turc en Italie à Liège et j’en ai été agréablement surpris car je ne le pensais pas si à l’aise avec l’opéra-bouffe. Son Rapport de Brodeck à l’Opéra d’Anvers est aussi une magnifique réalisation (dont l’Opéra de Nancy est coproducteur et que le public découvrira dans les saisons prochaines). Je suis donc ravi de l’inviter pour cette Cenerentola. Fabrice Murgia est un virtuose de la vidéo : ses vidéos apportent une plus-value sans renoncer à la direction d’acteur et du travail de plateau, comme c’est parfois le cas. C’est une production qui se rendra à Reims, Luxembourg et Caen : nous travaillons ensemble sur une même distribution afin de travailler des séries longues.
Quelle sera sa vision de l’œuvre ?
Tout d’abord, il a une forte conscience du pouvoir comique de cette musique et souhaite en jouer : cela peut paraître basique, mais ce n’est pas toujours le cas. Il souhaite transposer cette Cenerentola à la façon « grand-guignol », tel un film d’horreur comique. Angelina sera ainsi un peu dans son monde, telle une héroïne gothique. Fabrice Murgia est un amoureux du cinéma : il y aura beaucoup d’emprunts à l’univers des films d’horreur ou de zombies, comme à Men in Black ou à l’univers de Tim Burton avec L’Étrange Noël de Monsieur Jack.
Giulio Cilona, qui était déjà à la baguette pour Don Pasquale, assurera la direction musicale et accompagnera les récitatifs : pourquoi ce choix ?
C’est une grande baguette du présent et de l’avenir, qui adore les mots autant que la musique : il revient sans cesse au texte musical mais aussi au livret et il a une grande compréhension des voix. C’est un vrai chef d’opéra, jeune, passionné et passionnant, que l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine avait beaucoup apprécié à l’occasion de Don Pasquale. Peu de chefs aiment ces répertoires, et savent bien les diriger. Nous aurons une distribution royale avec Beth Taylor en Angelina, Dave Monaco en Ramiro, Gyula Nagy, qui a chanté Urok dans Manru et interprètera Don Magnifico.
En janvier, vous présenterez Amour à Mort, une production menée par Leonardo García Alarcón qui vient d’être présentée à La Cité Bleue Genève : qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
C’est un très beau projet avec, là encore, une transgression : l’amour entre deux clans ennemis. Le livret est en effet tiré de La Jérusalem délivrée de Tasso dont est issu Le Combat de Tancrède et Clorinde : ces deux-là ne sont pas censés tomber amoureux. On retrouve aussi une transgression dans la forme car les musiciens sont au plateau, tout comme Leonardo García Alarcón qui chante dans les madrigaux, qui joue dans toutes les dimensions avec ses musiciens de La Cappella Mediterranea. Le projet est très organique et bien construit. On ressent la superbe entente qui unit Leonardo et Jean-Yves Ruf, qui sont amis depuis Elena de Cavalli à Aix. Jean-Yves Ruf a une grande connaissance de la musique, ce qui permet une construction solide entre texte et musique. Ils ont tissé cette forme pour un résultat dense et poétique.
En février, vous proposerez la création française de Gypsy, une comédie musicale de Jule Styne sur un livret de Sondheim : pourquoi ce choix ?
L’œuvre est superbe, c’est la mère des comédies musicales. Le projet est porté avec la Philharmonie de Paris : voilà un exemple de collaboration que nous n’avions jamais expérimenté. Olivier Mantei [le Directeur de la Philharmonie de Paris, ndlr] cherchait un partenaire qui puisse accueillir les répétitions finales sur un plateau et de prendre en charge la création du spectacle dans son processus final, ce que le calendrier de la Philharmonie ne permet pas. Nous sommes très heureux d’accueillir toute l’équipe du spectacle, et notamment Laurent Pelly à la mise en scène et Natalie Dessay (Rose) avec sa fille Neïma Naouri (Louise) sur notre scène. L’histoire traite d’une mère qui souhaite transformer ses enfants en vedettes du music-hall, le casting ne peut être plus opportun. Notre public découvrira ainsi deux représentations en avant-première. Comme nous sommes coproducteur, nous pourrons reprendre le spectacle dans une plus longue série si l’accueil du public nous y incite : je n’en doute pas car les comédies musicales sont rares à Nancy et je pense que notre public en sera friand.
Fin février, vous reviendrez à un opus plus connu : Eugène Onéguine. La mise en scène est signée par Julien Chavaz, le Directeur du Théâtre de Magdeburg qui est coproducteur : quelle est sa vision ?
C’est une très belle production, qui a déjà été créée à Magdeburg, un partenaire fidèle avec qui nous coproduisons régulièrement car nous partageons une vision de la révolution qui est possible dans la forme de l’opéra et du théâtre musical. Julien Chavaz a une vision très poétique, dans un geste contemporain et porté sur le collectif : il y a un vrai travail sur les ensembles et les chœurs. On ressent une mélancolie dans ce spectacle très bien amenée, avec l’ajout d’un personnage discret, énigmatique, sans que rien ne soit lourd ou alambiqué, au contraire tout en délicatesse et poésie.
Qui composera l’équipe musicale ?
Notre Directrice musicale, Marta Gardolińska dirigera cet ouvrage qu’elle avait envie de porter. Côté chanteurs, nous retrouverons Enkeleda Kamani, qui a chanté Violetta chez nous et fera sa prise du rôle de Tatiana, et Héloïse Mas, également en prise de rôle d’Olga. Jacques Imbrailo, qui était le Prince Yeletski dans La Dame de Pique à Bruxelles sera Oneguine. Enfin, Adrien Mathonat, belle voix sombre et profonde de basse incarnera notre Grémine, et un magnifique ténor, Robert Lewis, découvert à l’Opéra studio de l’Opéra de Lyon, sera Lenski.
Marta Gardolińska, dont ce sera le seul opéra cette saison, vient d’être prolongée jusqu’en 2025/2026. Son départ est en revanche ensuite déjà acté : pourquoi ?
Marta Gardolińska a été renouvelée par l’Orchestre avec un écrasant pourcentage de votes favorables. Elle réalisera donc un mandat de cinq ans, ce qui correspond à ce que nous avions déterminé ensemble dès le départ. Elle ne dirigera en effet qu’un seul opéra la saison prochaine, mais nous préparons une autre très belle saison avec elle en 2025-2026. Cela représentera alors la fermeture d’un très beau chapitre de l’histoire de la maison. Nous allons dès maintenant commencer les réflexions au sujet de sa succession. Sur notre saison symphonique, le Directeur musical dirige cinq concerts d’abonnement sur les six que nous présentons : ce fonctionnement nancéien fait que l’Orchestre a besoin d’énergies nouvelles régulièrement. Il est donc sain que les mandats ne soient pas trop longs.
Vous présenterez en avril la création de L'Avenir nous le dira de Diana Soh, dont l’Opéra de Nancy est co-commanditaire : à quoi ressemblera cette œuvre ?
Bien que le livret ne soit pas basé sur Sa Majesté des mouches, le spectacle pourra y faire penser car il s’agit d’un groupe d’enfants qui se retrouvent sans adultes et qui doivent faire communauté. Aujourd’hui, quand on pense à la jeunesse qui serait hors du monde des adultes, on peut s’imaginer qu’elle ferait des choses bien différentes, notamment sur la question climatique et écologique.
Ce qui me plait dans ce projet, c’est l’équipe de créatrices qui est réunie et les interprètes pour qui il est écrit. Diana Soh est l’une des compositrices les plus protéiformes et prolifiques du moment. Elle est sur tous les fronts et questionne beaucoup la forme et le langage musical. Alice Laloy conçoit des spectacles d’une intelligence et d’un savoir-faire assez uniques. Elle prend le temps de construire ses projets, notamment avec des jeunes comme pour Pinocchio.
Fin avril, vous présenterez la production de L'Élixir d'amour par David Lescot, qui a déjà été présentée à Angers, Nantes et Rennes : comment la présenteriez-vous ?
David Lescot est un musicien et un homme de théâtre. Il a saisi toutes les subtilités de la musique, ainsi que ses ressorts poétiques et drôles. Sa mise en scène dit juste ce qu’il faut de cette œuvre. L’alternance entre les scènes joyeuses et la mélancolie de Nemorino est très bien menée. Ce spectacle a eu beaucoup de succès à l’Opéra de Rennes, où il a été créé. Dans l’équilibre de la saison, tout le monde peut se retrouver dans cette production : les passionnés qui ont déjà vu l’œuvre plusieurs fois tout comme les spectateurs novices. Le public que nous cherchons à attirer pour la première fois à l’opéra a envie de voir les standards du répertoire, et de les comprendre : il est donc important de les représenter dans des lectures universelles.
L’an dernier, cette production avait été montrée sur de grands écrans à travers la Bretagne et les Pays de la Loire : une telle initiative serait-elle réplicable à Nancy ?
Tout à fait. C’est une initiative qui avait été mise en place il y a plusieurs années par Alain Surrans lorsqu’il était à Rennes il me semble. Il avait su mobiliser et fédérer largement les partenaires publics. Cette démarche est devenue une tradition et on ne pourrait pas s’en passer aujourd’hui dans ces régions. Cela n’a jamais été fait encore à Nancy : il faudrait trouver un financement dédié.
Vous confiez la direction musicale à Chloé Dufresne : pourquoi ?
Nous étions convaincu dès le départ avec Matthieu Rietzler que Chloé Dufresne serait une bonne idée. La qualité de sa direction à la tête de l’Orchestre de Bretagne n’a fait que confirmer ce choix. J’avais par ailleurs depuis longtemps envie de confier le rôle d’Adina à Rocío Pérez : c’est un rôle qui était revenu dans les discussions avec son agent lorsqu’elle était venue chanter Gilda à Nancy. Matteo Desole est une magnifique voix : il chantera Nemorino. Patrick Bolleire rêvait de chanter Dulcamara : il le fera à Nancy pour la première fois. Mikhail Timoshenko, qui est bien connu en France et que nous avions adoré à Nancy en Figaro dans Les Noces de Figaro, viendra chanter Belcore : c’est un autre emploi, mais je n’ai aucune doute sur le fait qu’il sera tout aussi convaincant. Enfin, Manon Lamaison, une jeune soprano à la voix pleine de soleil et d’énergie, viendra chanter Gianetta.
Vous finirez la saison avec la troisième édition de NOX, votre atelier de création. L’opus présenté cette année aura pour titre Les Incrédules : pouvez-vous présenter ce projet ?
L’idée est de faire une proposition fraiche, joyeuse et poétique, à partir d’histoires de miracles recueillies auprès de personnes rencontrées dans les rues de Nancy, Paris, Avignon, Naples et partout où sont passés les membres du collectif d’écriture de ce spectacle. La plupart des gens répondent d’abord qu’ils ne croient pas aux miracles, mais finissent souvent par se remémorer des choses qu’ils n’expliquent pas et qui leur apparaissent comme miraculeuses. Il y a quelque chose de l’ordre de la magie dans ce sujet, qui se prête bien au spectacle et peut être raconté et traduit en musique. La forme interrogera la place du musicien au plateau et dans la fosse : comment les deux dialoguent, se complètent ou s’opposent. L’équipe de création a passé quelques jours avec nos accessoiristes pour créer un nouvel instrument : le miraclophone. Il y a une forme très contemporaine dans l’idée d’inventer des instruments et de les utiliser dans le jeu.
Ce projet c’est aussi celui d’interroger l’écriture au plateau d’un spectacle, que nous retrouvons beaucoup au théâtre et à l’opéra. Questionner aussi les processus de création et de production, en associant créateurs et interprètes sur une même ligne dans le temps long. Tous les protagonistes de ce projet sont rompus à cet exercice dans le domaine du théâtre musical. Pour la première fois, ils expérimenteront sur une forme nouvelle qui sera un opéra.
Comment le thème du miracle est-il apparu ?
C’est le collectif de maîtrise d’œuvre qui a souhaité travailler cette question. J’avais simplement posé les bases du NOX : travailler sur le processus et sur la forme en ancrant la création dans la ville, en mêlant différentes ressources, expérimenter, chercher. Samuel Achache avait depuis longtemps envie de travailler sur la question du miraculeux, de sa poésie. Il souhaitait poser la question de ce qu’est un miracle pour nous aujourd’hui. Alors que le progrès scientifique explique la plupart des miracles, nous gardons tous l’impression d’avoir vécu dans nos vie des moments miraculeux. Il y a une poésie dans ces micro-moments intimes, secrets. Ce sera la matière dramaturgique de cette équipe et la porte d’entrée des compositeurs.
Qui sont les compositeurs Florent Hubert et Antonin-Tri Hoang ?
Leurs influences sont très visibles dans leurs précédents projets, notamment Concerto contre piano et orchestre, ou Sans tambour présenté à Avignon il y a deux ans. Ce sont des musiciens qui mélangent différentes esthétiques, différents genres. Ils peuvent partir d’un Lied de Schumann et construire une grande phrase musicale poétique proche d’influences debussistes. Le spectacle sera empreint de musiques populaires et savantes, assez joyeux et poétique. Il mélangera les langages musicaux. La troupe a l’ambition de rapprocher théâtre musical et opéra et de prendre les forces des deux. Ils travailleront aussi comme à leur habitude, à partir notamment d’improvisations au plateau. Nous nous sommes organisés afin qu’ils puissent livrer une partition comme dans un opéra classique sans perdre la liberté de l’improvisation et des adaptations pour laisser à toute l’équipe le maximum de flexibilité.
Qui en seront les interprètes ?
Le générique musical sera composé de deux chanteuses, Jeanne Mendoche et Majdouline Zerari, et un chanteur (qui n’est pas encore désigné). Il y aura aussi des comédiens et des musiciens au plateau. Nicolas Chesneau, qui est un partenaire de travail fidèle en tant que chef de chant, dirige aussi et se trouve être la personne idoine pour accompagner ce projet puisqu’il a souvent collaboré sur les projets de Samuel Achache. De manière générale, nous avons rassemblé des artistes qui ont l’habitude de travailler ensemble, de manière horizontale, afin que chacun participe à l’écriture du spectacle au plateau. Cette question du processus est passionnante : tout n’est pas ici déterminé à l’avance.
En décembre, vous présenterez également Brundibár projet mené avec un collège et dirigé par Guillaume Paire : quel est le sens de ce projet à vos yeux ?
Chaque année, nous avons plusieurs créations dans le cadre de notre saison citoyenne, avec des artistes amateurs assistés de professionnels de la maison. Brundibár s’inscrit dans ce cadre : nous nous installons pendant plus d’une année dans des collèges péri-urbains ou de la grande ruralité, et nous travaillons avec eux de manière exigeante à raison d’un atelier par semaine pour les amener à chanter et à créer un spectacle. Ces enfants constitueront une maîtrise populaire dont les membres n'avaient aucune pratique musicale à l’origine. Finalement, certains, que rien ne destinait à la musique, pourraient rejoindre une maîtrise avancée car ils ont un vrai talent. La Maîtrise du Conservatoire Régional du Grand Nancy participera, notamment dans les rôles solistes qui nécessitent plusieurs années de pratique musicale. Le spectacle sera mis en scène par Suzie Baret-Fabry et Pénélope Driant. C’est un opéra, créé dans le camp de concentration de Thérésine, qui a déjà été régulièrement présenté et fait désormais partie du répertoire connu, notamment du XXème siècle. C’est un magnifique témoin de l’histoire, puissant chant de résistance contre l’oppression.
Quels sont les concerts symphoniques dirigés par Marta Gardolińska ?
Comme toujours, la saison symphonique résonne avec la dramaturgie de notre saison lyrique, et est ancrée dans le thème de l’Europe musicale à l’époque de l’Art Nouveau (avec de la musique française mais pas seulement), à travers des concerts thématiques. Avec Marta Gardolińska, nous y faisons des incursions dans le répertoire polonais en y mélangeant désormais, lorsque c’est possible, du répertoire ukrainien. Il y aura ainsi un magnifique concert « Âmes slaves » en mars avec le Concerto pour violon n°3 de Grażyna Bacewicz, l’une des grandes compositrices polonaises de l’histoire. Nous y avons associé Go Where The Wind Takes You d’Iryna Aleksiychuk, un poème sur la résistance des femmes forcées à s’exiler en temps de guerre. Nous proposerons également un concert « America » en juin mélangeant les origines populaires jazz de Gershwin, et les musiques des deux côtes du continent. Nous rendrons aussi hommage à la harpe avec des pièces de Debussy dans un concert intitulé « Danses féériques » en septembre. C’est la passionnante Alexandra Bidi qui sera à la harpe. Nous aurons du théâtre en musique avec Beethoven, Mozart et Rossini pour un concert « Théâtre symphonique » plutôt XVIIIème siècle en octobre.
Quels sont les autres grands évènements de votre saison de concerts ?
Nous profiterons également de la présence de Giulio Cilona pour Cenerentola pour lui faire diriger en novembre la 5ème de Mahler, un compositeur que notre orchestre adore jouer. Et puisque Rossini a écrit sa Cenerentola pour un chœur d’hommes, nous proposerons un concert de Noël avec les pupitres de femmes, qui construiront un programme autour de Britten et des chants populaires. Au programme également un concert de l’ensemble La Néréide composé de trois sopranos et trois instrumentistes, sur une proposition de l’une d’elles, la soprano Julie Roset : elle m’a présenté ses programmes que j’ai trouvés passionnants. Ils interprèteront les Miserere peu connus de Lalouette et Clérambault. Nous accueillerons également un récital Voix nouvelles avec la magnifique promotion de Génération Opéra. Je suis très heureux d’accueillir à cette occasion Héloïse Poulet qui sera avec nous dans Cenerentola, et Juliette Mey qui est un grand talent à suivre.