Envoûtantes histoires de Trouvères sur les traces d’Aliénor d’Aquitaine
Les chansons composant ce programme évoquent à demi-mots les relations particulièrement tumultueuses de la « plus belle dame du monde » (ces textes relatant essentiellement un amour déçu, voire trahi). Les sentiments y sont intenses et pudiques, à la fois profonds et violents. Ce grand art nécessite un soin particulièrement attentif, derrière un semblant d’évidence, équilibre accompli dont témoignent les cinq artistes de l’Ensemble Alla Francesca. Tout en visant l’adéquation historique, ils ne s’interdisent aucune liberté pour s’approprier ce répertoire et sa subtile poésie. Ces sentiments presque millénaires paraissent ainsi d’une criante contemporanéité.
L’auditeur est immédiatement plongé dans l’univers médiéval par la sonorité nasale et tendre du crwth (prononcer crouth, instrument à archet proche de la vièle) joué avec sensibilité et verve par Nolwenn Le Guern en complicité avec sa collègue vielliste Vivabiancaluna Biffi. Ces chansons dont les textes sont en partie récités en français avant d’être chantés en latin, en occitan ou en ancien anglais voient leurs paroles élégamment soutenues et amplifiées par des mélodies avant tout au service des mots : ce sont les inflexions de la voix presque parlée qui animent ces chansons.
Brigitte Lesne, en experte indéniablement passionnée de ce répertoire partage ainsi une captivante interprétation d’Estat ai en greu cossirier (j’ai éprouvé un cruel tourment) sur un texte de la trobairitz Beatriz, comtesse de Die. S’accompagnant seule de sa harpe-psaltérion, elle dévoile ses talents de conteuse avec sa voix faussement fragile, par un léger vibrato apportant une touche de sensibilité dosée mais pleinement efficiente. Son interprétation sert aussi bien l’éploration sur les terribles condamnations par l’Inquisition aux temps des croisades, avec une expressivité intense sans exubérance de pathos (sur un accompagnement des vièles lourdement figuratif à propos).
Au chant également, le timbre de Christel Boiron apporte une certaine chaleur tendre qui ajoute à l’expressivité du texte et aux lignes mélodiques soigneusement ornées avec une appréciable finesse. Pierre Bourhis partage ces qualités avec une assurance montrant un métier certain. D’abord au service des mots et de la langue, son chant investi se fait porteur de toute l’expressivité poétique, suivant des inflexions souvent proches de la voix parlée : d’une aisance de conteur par son interprétation vivante. Il partage également un heureux moment de malice avec Brigitte Lesne, un rien théâtralisé, avec la pastourelle de Thibaut de Champagne (arrière-petit-fils d'Aliénor d’Aquitaine), L’autrier par la matinée.
Si l’église Saint-Léger de Molinges faisait craindre un concert à la température hivernale, les talents et la passion de l’Ensemble Alla Francesca auront su réchauffer le cœur des spectateurs qui les remercient de chaleureux applaudissements, se montrant ravis d’avoir découvert ce répertoire médiéval que ses instruments rarement entendus.