Beethoven et Mahler, Génies bien compris au Corum de Montpellier
Était-ce la perspective d’entendre deux œuvres de génie(s), la présence de deux interprètes de renom, les retrouvailles des musiciens avec le chef Michael Schønwandt, ou bien les trois à la fois, qui a attiré le public montpelliérain si nombreux en ce soir du 31 mai ? La salle Berlioz du Corum était quasiment remplie et il suffisait de tendre l’oreille vers les discussions pour saisir à quel point le chef danois a laissé un souvenir positif dans la capitale de l’Hérault, dont il a dirigé l’Orchestre national de 2015 à 2023. Lors de son concert d’adieu en juillet dernier, son retour en tant que chef invité avait été promis. Le public retrouve avec émotion sa battue souple et élégante, très énergique sur les passages forte. Son entente avec les musiciens est toujours perceptible. Il en ressort une grande homogénéité d’ensemble, avec une fusion magnifiquement équilibrée des timbres des cordes et des bois dès l’introduction du 3ème Concerto pour piano de Beethoven.
Pour le pianiste, la virtuosité est de mise dans cette œuvre. L’éternellement jeune Alexandre Tharaud l’aborde avec sérénité, tout en souplesse et en nuances, alternant les longs phrasés lyriques sur un toucher feutré et les motifs plaqués, revenant comme des idées fixes. Il démontre son ambidextrie sur la cadence, passant de la main droite à la main gauche sur le même intervalle répété dans l’aigu, qui tient toute la salle en haleine. Lors du bis, il se livre à une improvisation sans partition d’une sensibilité captivante. Il est, bien sûr, immensément applaudi.
La disposition de l’orchestre est à peine modifiée pour la seconde partie du concert. Les contrebasses occupent le fond de la scène, flanquées des cors et des percussions. Tirant parti de l’acoustique de la scène, plutôt profonde, leur jeu est bien sonore et confère à l’ensemble un socle solide. Les cordes illuminent la 4ème Symphonie de Gustav Mahler de leur jeu vif et emporté. Les notes finales les entraînent jusqu’à l’extrême aigu, déposé sur un timbre cristallin et parfaitement égal. L’œuvre comporte aussi quelques moments de brio pour les instruments solistes. Particulièrement en vue, le cor solo fait entendre un son soyeux et profond, tout comme les deux clarinettes, le hautbois et la clarinette basse, déployant leurs harmonies soigneusement dessinées. Enfin, petite originalité voulue par Mahler : sur le deuxième mouvement, le violon solo joue sur un instrument "désaccordé" (ou plutôt réaccordé : la scordatura). Le public a ainsi pu voir la soliste Dorota Anderszewska garder près d’elle un second violon et manier alternativement les deux instruments avec le même entrain virtuose.
Le quatrième mouvement comporte une partie chantée pour voix de soprano, dans laquelle Cyrielle Ndjiki Nya se montre très à son avantage. Sa maîtrise de la langue allemande est perceptible autant dans la diction que dans l’expressivité qu’elle confère au texte. La première strophe est entonnée à fleur de voix, mais avec une émission sonore. Elle offre ensuite la pleine mesure de ses moyens vocaux, malgré quelques inégalités de timbre dans la conduite de son phrasé. L’aigu solidement ancré dans la poitrine, assure à son interprétation une sérénité qui sied au Paradis dont il est question ici.
Après le salut des artistes, chaleureusement applaudis par l'auditoire, la soirée se prolonge par un récital nocturne d’Alexandre Tharaud (intitulé « Dodo Tharaud # 2 ») visiblement très demandé : impossible de trouver des places de dernière minute, le Corum affiche salle comble.