Natalie Dessay : retour à Bordeaux, retour à l’opéra !
Si Natalie Dessay a pour ainsi dire officiellement clos sa prestigieuse carrière de chanteuse d'opéra en 2013 avec Manon de Massenet à Toulouse, elle se produit encore parfois en récital dans le répertoire mélodique et lyrique avec son binôme Philippe Cassard au piano. Son retour à des airs d’opéra avec un orchestre symphonique est ainsi un événement et le choix de la ville de Bordeaux n’est pas un hasard : c’est ici qu’elle a fait ses études de chant.
Le programme lyrique de ce concert se concentre, après l'ouverture des Noces de Figaro, en trois airs issus de cet opéra (« Porgi Amor » et « Dove Sono » de la Comtesse Almaviva et « Deh vieni, non tardar » de Susanna) sans bis. Suite à la Pavane de Gabriel Fauré en guise d'interlude, elle aborde un tout autre registre et une tout autre époque avec La Dame de Monte-Carlo, monologue de Francis Poulenc (la Quatrième Symphonie de Beethoven occupant la seconde moitié du programme).
En plus de ses qualités vocales, Natalie Dessay est connue pour la matière qu’elle donne à l’incarnation de ses rôles sur scène (elle est aussi actrice au théâtre et sait même mêler les deux comme récemment encore à l'Athénée). C’est aussi vrai pour le récital de ce soir malgré l’absence des artifices du théâtre. L’expressivité du visage, le naturel des mouvements et cette transcendance presque magique du corps se muant en personnage opèrent. Son implication dans La Dame de Monte-Carlo rend l’interprétation aussi bouleversante par l’ouverture lumineuse de cette mondaine déchue que par son acte désespéré. D’autant plus que la longue robe plissée aux motifs brillants de sequins et les cheveux détachés blond platine de la chanteuse peuvent la rapprocher de l’image que d'aucuns se feront du personnage. Le caractère immersif du jeu se retrouve dans l’éloquence de la voix. Que ce soit dans les courts mais puissants appels en voix parlée du monologue de Poulenc ou le dépit résigné exprimé dans la subtilité des pianissimi du Dove Sono, elle suscite l’empathie de l’auditeur. La limpidité du timbre tout comme l’agilité des aigus sont au rendez-vous. Elle n’hésite pas à utiliser l’endurance de son souffle. Elle fait ainsi durer plusieurs secondes un des derniers « Monte-Carlo » en faisant un tour elle-même vers l’orchestre. Les syllabes dans la reprise du Dove Sono sont prolongées pour le plus grand plaisir du public. Le bonheur de celui-ci est décuplé dans les trois airs de Mozart par la finesse des ornementations vocales, apposées délicatement dans un vrai travail de haute joaillerie.
Gemma New dirige l’orchestre de gestes larges, amples et engagés et fait même quelques pas sur son estrade. La phalange instrumentale est aux petits soins de la chanteuse dans Les Noces de Figaro, laissant un maximum d’espace à Natalie Dessay quitte à parfois se mettre un peu trop en retrait dans le relief que devraient apporter certains accords. La conseillère artistique et cheffe principale de l'Orchestre Symphonique de Nouvelle-Zélande a aussi tendance à attendre la soliste (ce qui est le plus souvent une bonne chose mais peut laisser parfois un soupçon de silence en trop au détriment de la dynamique générale du morceau). Gemma New révèle les couleurs de l’orchestre ainsi que ses qualités d’appui dramatique dans La Dame de Monte-Carlo. La Pavane de Fauré manque en revanche de couleurs, et la symphonie de Beethoven est interprétée dans un style traditionnel. La densité générale du son et l’unité de l’orchestre lui rendent efficacement son caractère. Certaines attaques pourraient toutefois être encore plus tranchantes par leur netteté sur les premiers mouvements. L’orchestre n'en redouble pas moins de vigueur sur le dernier mouvement et fait vivre le foisonnement des passions beethoveniennes au public.
Ce public manifeste son enthousiasme par ses applaudissements à la fin du concert et rappelle avec insistance la cheffe.