Duels et duos de ténors baroques aux Invalides
La saison musicale des Invalides se poursuit avec un nouveau concert en écho à l’exposition Duels ! L’art du combat au Musée de l’Armée. Au programme, duos de ténors, rivaux ou amis chantant l’amour sous toutes ses variations au cœur du baroque italien, dans des airs aussi bien sérieux que comiques, comme La vecchia innamorata de Biagio Marini, racontant l’histoire d’une vieille dame entichée d’un jeune homme, lui-même amoureux éconduit d’une jeune fille. Mais le concert est également le lieu de l’amour tragique, comme celui de Tancrède et Clorinde évoqué dans l’air Giunto alla tomba de Sigismondo D'India où Tancredi pleure sa bien-aimée morte dans ses bras, justement après leur duel. C’est donc avant tout un combat pour l’amour que mettent ici à l'honneur les deux ténors et l’Ensemble I Gemelli.
Le ténor Zachary Wilder propose un chant particulièrement soigné, propre et poli, net et aisé. Il frappe par le naturel avec lequel il aborde la musique, qu’il porte d’une voix claire, absolument pure. La diction est également au rendez-vous, précise et sans accroc, ainsi qu’une volonté de théâtralité quelque peu cabotine cependant, en décalage avec la stabilité de la voix.
Il forme un duo qui se complète pleinement avec Emiliano Gonzalez Toro, à la fois contrasté dans les différents coloris des deux timbres et équilibré dans la puissance des voix qui se répondent l’une à l’autre avec beaucoup de vigueur, notamment dans l’air Damigella tutta bella de Vincenzo Calestani, qu’Emiliano Gonzalez Toro présente comme le « tube » du concert, repris en bis à la fin. Les deux chanteurs sont également complices et partagent une alchimie ainsi qu’un enthousiasme qui fait le sel du duo.
Emiliano Gonzalez Toro, en effet, déploie un timbre beaucoup plus sombre, mâtiné de graves qui ornent une voix plutôt ronde et sonore. La ligne de chant est moins nette, mais plus expressive et le ténor en impose sur scène, notamment par l’intensité d’émotions qu’il semble lui-même vivre et transmettre au public avec vibration. Plusieurs fois au cours de la soirée, le ténor exprime son plaisir d’être là et de montrer aux spectateurs ce travail que lui, Zachary Wilder et les artistes de l’orchestre ont pu construire.
Non content de chanter, le ténor, très mobile, supervise également l’orchestre I Gemelli en se tournant de temps à autre vers les musiciens pour leur faire signe. En effet, la particularité de l’ensemble est de considérer l’orchestre comme un prolongement de la voix. Le chant est donc central : c’est en fonction de ses pulsions et de ses dynamiques que réagit la musique. Ainsi, par exemple, la flûte répond-elle à Emiliano Gonzalez Toro dès qu’il lui fait signe, cela sans pour autant perdre ni énergie, ni vivacité dans l’orchestre. Le rythme est fluide, vif et engagé, soutenu par les divers coloris des instruments d’époque (l’ensemble propose un travail historiquement informé). Il faut noter d’ailleurs une guitare baroque assez mélancolique, interprétée avec beaucoup de finesse qui ouvre une Folia, où les chanteurs laissent la part belle à l’orchestre.
Difficile de parler de baroque italien sans mentionner Monteverdi. En bis, le duo reprend Il ritorno d’Ulisse in patria (enregistré récemment par I Gemelli), avec les retrouvailles entre Télémaque et Ulysse. Le concert s’achève ici, non plus dans un duel, mais dans la joie émouvante des retrouvailles et de la réconciliation, très applaudies.