Madame Favart au Théâtre Armande Béjart : Oya Kephale frappe encore !
La salle est comble et certains visages arborent un demi-sourire pour ceux qui, déjà, savent qu’ils vont bien s’amuser. Une jeune fille assure à sa mère qu’elle va passer “un moment génial !”, un jeune homme ressort ravi du premier acte et entame une discussion enthousiasmée avec ses grands-parents. Oya Kephale traduit cette impatience, cette énergie communicative d’un travail rigoureux et drôle.
Pierre Boudeville, à la tête du Chœur et de l’Orchestre depuis cinq ans, insuffle une énergie constante, veillant à éviter les décalages les plus périlleux et parvenant à conserver au son de l’orchestre une rondeur et une expressivité sans lourdeur qui accompagnent le déroulement des scènes avec une intelligence affûtée. De même le Chœur, très engagé scéniquement grâce aux chorégraphies de Mathilde Colas, déploie son implication vocale à la fois attentive aux enjeux de l’intrigue et soucieuse de conserver une homogénéité de timbre qui, à l’exception des scènes où les pupitres sont clairsemés, parvient avec puissance et couleur.
La mise en scène d’Emmanuel Ménard assisté d’Audrey Garcia-Santina distille à un rythme égal l’humour et les gags tout au long de la soirée, investissant l’ensemble des actes d’une même cohérence qui permet à la fois de rendre l’intrigue lisible et d’apporter aux personnages le relief nécessaire pour qu’aucun, même dans les rôles les plus discrets, ne s’efface. Les décors de Juliette Peigné et les costumes de Marie Leclerc participent activement à ce sentiment, proposant trois tableaux d’une esthétique aussi dépouillée qu’efficace, de la sympathique auberge du premier acte au camp militaire du dernier (avec une toile de fond de toute beauté), en passant par le luxe bien rendu des appartements d'Hector de Boispréau à l’acte II. S’ajoute à cela un éclairage ciblé et soigné d’Anne Frémont, permettant de désigner et d’isoler avec subtilité les situations clés, notamment celles mettant Madame Favart (et son redoutable esprit) en exergue.
Amandine Lavandier incarne une Madame Favart plus "sophistiquée" qu’attendue. Souvent juste dans son jeu néanmoins, très amusante dans la caricature de la vieille comtesse de Montgriffon (acte II) ou en petit Tyrolien (acte III), l’actrice emploie visage et corps d'une manière expressive, immédiatement dans les contrastes. La chanteuse, quant à elle, semble ne faire qu’une bouchée de la partition, offrant à entendre une voix suave et fruitée, parfois un brin nasale, d’une endurance à toute épreuve et aux aigus généreux et brillants.
À ses côtés, en Charles-Simon Favart son mari, Marcel Courau, habitué de la troupe, propose un jeu aux antipodes. Extrêmement à l’aise scéniquement, l’acteur dépeint un personnage d’une bêtise et d’un cabotinage assumés. Vocalement, le chanteur propose un son timbré et sonore manquant certes d’une souplesse qui permettrait sans doute de plus amples nuances mais tout à fait en accord avec les prétentions du rôle.
Charlotte Ferraroli est une Suzanne Cotignac d’une grande candeur, jouant la niaiserie et la douceur avec une égale application, avec toutefois une certaine espièglerie qui sait surgir aux moments les plus opportuns, à la surprise générale. La voix est claire, bien menée, en correspondance avec l’effacement guindé du personnage et se mêlant parfaitement aux ensembles pour les colorer.
Gabriel de Masfrand propose un Hector de Boispréau à l’image de sa promise, partageant avec elle un jeu empreint de douceur. Moins naïf toutefois, l’acteur sait faire montre d’une autorité élégante à propos, donnant à voir un héros aristocrate tout à fait convaincant. La voix, très claire, manquant d’un soutien plus assuré, se glisse avec simplicité dans les ensembles, tirant de façon intéressante le personnage vers ce qu’il peut avoir d’enfantin.
Face à ces deux couples, vrai dindon de la farce, Frédéric Ernst est un Marquis de Pontsablé libidineux à souhait, acteur à la voix tranchante et à la diction soignée. La voix chantée, quant à elle, souvent blanchie, laisse paraître une dureté qui, en s’opposant aux discours mielleux du personnage, achève d’en souligner l’ambiguïté.
En père de Suzanne, à la fois généreux et obtus, Daniel Ladaurade est un Major Cotignac d’une grande justesse, ayant pour lui le sens de la réplique portée par une voix parlée ronde et noire. La voix chantée est moins ductile et, par moments, se creuse sans que le personnage ne perde jamais de sa gouaille.
Les rôles militaires du Sergent Larose (Pierre-Guy Plamondon), Jolicœur (Charles Decoux), Sans-Quartier (Laurent Boitouzet) et Larissole (Théo Le Masson) se mêlent à l’intrigue sans fausses notes, avec des personnalités distinctes et animées, répondant aux solistes comme au chœur avec des voix affirmées qui se fondent habilement dans le son commun.
Du côté de l’auberge, au premier acte, Joseph de Habsbourg-Lorraine est un Biscotin malin ne se démontant pas face à Favart, à l’allure longiligne qui, s’ajoutant à son air débonnaire, dessine un personnage d’une sympathie communicative. À ses côtés, Faïrouz Feddal (Babet) et Blandine Jenner (Jeanneton) sont des aubergistes crédibles aux voix sans doute un peu discrètes mais aux jeux définis. Enfin, le temps d’un intermède piloté avec panache par Favart (toujours lui !), Myriam Baconin, Marie-Christine Glatard et Jean-Baptiste Dervillers, respectivement Nicette, Madame Madré et Monsieur Subtil, parviennent sans peine à animer leur saynète avec humour le temps d’un changement de décor.
La soirée s’achève devant un public conquis, d’avance pour certains, n’hésitant pas à crier son enthousiasme, à se lever, applaudissant avec reconnaissance l’engagement sans faille de tous les acteurs du spectacle, l’un des plus aboutis de la troupe depuis ces cinq dernières années.