La rare Bérénice de Haendel cherche un retour en grâce aux Champs-Elysées
L'intrigue contient certes des éléments typiques de ce style et au XVIIIème siècle (enchevêtrements amoureux, sacrifices, bouffonnerie, galanterie, ambiguïté des voix, dénouement heureux propre à l’opera seria, notamment). Elle tourne autour de la fière réticence de Bérénice, reine d’Égypte (fille du Tolomeo auquel Haendel a consacré un autre opéra), à accepter Alessandro, un mari envoyé comme ordre politique par le Sénat romain. Néanmoins, après quelques malentendus impliquant des triangles amoureux, Bérénice et Alessandro finissent par s'accepter mutuellement, pour le véritable amour plutôt que pour la diplomatie. Éternel conflit entre l’élan du cœur et l’intérêt du trône, dans lequel le librettiste Antonio Salvi semble s'égarer comme dans le labyrinthe d'une pyramide, les changements dramaturgiques et retournements de situations en venant même à prêter à sourire et donnant même une impression de statisme à l'histoire. Haendel n'en tire pas moins son épingle du jeu en offrant quelques airs mémorables, dans certains enchaînements de beaux moments qui mériteraient davantage de caractérisation.
A fortiori dans une version de concert, les chanteurs se succèdent ici sur le devant de la scène au moment de leurs airs, mais en sachant offrir une certaine légèreté et une petite dose d’humour (hormis Démétrius, seul personnage ayant une réelle épaisseur, celle d'un traître jouant un double jeu amoureux et politique).
La Bérénice de Sandrine Piau fait valoir une voix lumineuse et flexible, homogène sur toute la tessiture et à la colorature impeccable. Indomptable (personne ne choisira qui elle doit épouser), un tant soit peu capricieuse, elle est loin d’avoir la dignité tiraillée d’une reine se battant pour sauvegarder son empire. Sa fureur est en demi-teinte lorsqu’elle apprend la trahison de Démétrius. L’aria « Chi t’intende » offre une complicité remarquée avec le hautbois, tout en finesse et délicatesse, longuement applaudie.
Son amoureux (choisi) Alessandro est interprété par la soprano Arianna Vendittelli. Son amour pour la reine est inébranlable et finira par attirer son regard in extremis, lors du dénouement. La voix lumineuse se teinte par moment d’intonations plus sombres, lorsqu’elle doute de la réciprocité de son amour. L’interprétation incarnée, vibrante, affrontant les difficultés de la partition s’épanouit à la mesure de la progression de l’intrigue.
Opposé à la souveraine est le couple formé par Sélène (sœur de Bérénice, promise à Arsace), et Démétrius qu'elle aime, et qui est soutenu par Mithridate. La première est un emploi sombre d’alto féminin confiée à Ann Hallenberg. Sa solide technique est mise au service de l’expression des sentiments. Par la variété de son chant orné, le jeu des couleurs, la diversité des nuances, elle exprime des sentiments contrastés (joie, tristesse, espoir et désespoir selon le sort accordé à son amant). Le second est un emploi d'alto (castrat puis contre-ténor) relevant les défis d’un rôle de caractère ne se réduisant pas aux tergiversations d’un soupirant impuissant. Interprété par Paul-Antoine Bénos-Djian, son chant est remarqué pour sa maîtrise, la voix est bien projetée, les vocalises sont naturelles et fluides, le vibrato utilisé à bon escient, et le souffle ne se relâche jamais. Il déploie virtuosité et impétuosité à travers des vocalises énergiques. Puis, la palette de nuances, l’expression du visage apportent subtilité et intensité pour affronter les conséquences de ses actes, lorsqu’il est emprisonné sur les ordres de Bérénice, prêt à mourir pour Sélène. Engagé émotionnellement, il passe avec dextérité d’un sentiment à un autre faisant vibrer la salle à l’unisson de sa performance très applaudie.
Le prince Arsace est interprété par Rémy Brès-Feuillet. Également amoureux de Sélène, il est soutenu par Bérénice. La voix ample est sonore, bien projetée, assurée dans les vocalises et l’expressivité des récits. Il joue avec malice (dans la gestique des mains et l’expression faciale) le rôle de l’importun.
Le ténor Matthew Newlin s’empare du rôle de Fabio, l’ambassadeur de Rome, en quelque sorte l’arbitre de ces duels amoureux avec pour unique objectif d'annexer l’Egypte à l’empire romain. Ses interventions ne manquent pas d’autorité grâce à une voix puissante, bien projetée, des vocalises précises malgré des voyelles un peu trop ouvertes. L’ornementation est bien pensée, notamment dans son air métaphorique « Vedi l’ape che ingegnosa » (Regarde l’abeille ingénieuse).
Enfin, le personnage d’Aristobolo, confident de la reine revient à John Chest. La voix est timbrée, imposante, alternant les registres sans difficulté, l’ornementation est soignée, la projection des graves est soutenue par une attaque appuyée des consonnes permettant une vocalité aisée.
Ces protagonistes sont accompagnés par l’ensemble Il Pomo d’Oro que dirige Francesco Corti de son clavecin. Avec de grands gestes, toujours en mouvement, tantôt assis, tantôt debout, il insuffle une musicalité constante, propose des tempi qui avancent (parfois plus vite que la musique), tout en apportant un soin particulier au continuo. Il compense ainsi la palette de couleurs instrumentales restreinte d'un orchestre constitué essentiellement de cordes et qui prend par moment des teintes vivaldiennes.
Le public fait un succès à la distribution réunie avec un tel équilibre pour ce concert, chacun contribuant à une performance musicale fine tout en étant pleinement vivante, chacun de leurs airs est ponctué d’applaudissements de plus en plus fournis du public jusqu’aux « brava » ponctuant les derniers airs !