L’Espagne de Ravel s’invite sous le ciel de Tourcoing
Pour amener le public sous le ciel radieux de l’Espagne (à Tourcoing) et le faire palpiter, François-Xavier Roth avait choisi de donner en première partie du concert trois pièces symphoniques de Maurice Ravel, dont le fameux Boléro qui fascine toujours autant les auditeurs. À la tête de son Ensemble Les Siècles, François-Xavier Roth en livre une version ardemment maîtrisée, menée avec rigueur et dans le respect de ce long crescendo qui aboutit au plus implacable des paroxysmes. Le chef laisse les différents instrumentistes pleinement s’exprimer dans le cadre ainsi défini : tous les pupitres semblent effectivement participer à la fête, dont en premier lieu Antonin Pommel et Paul Lamarque qui jouent sur des saxophones soprano et ténor de 1928 de façon très tendrement expressive et terriblement virtuose. Les interprétations impeccables de l’Alborada del Gracioso et de la Rapsodie Espagnole finissent de révéler au public les sortilèges de la belle ville de Tolède et mènent chez son ambassadrice, l’accorte et sensuelle Concepción (héroïne de L'Heure espagnole interprétée dans ce concert).
Trois des chanteurs de l’intégrale discographique de L'Heure espagnole gravée par ce chef pour le label harmonia mundi se trouvent une nouvelle fois réunis, tandis que Benoît Rameau remplace Julien Behr dans le rôle de Gonzalve, Nicolas Cavallier se substituant pour sa part à Jean Teitgen dans celui de Don Inigo Gomez. Ces deux derniers incarnaient également leurs savoureux personnages lors des représentations de l’ouvrage à l’Opéra Comique en mars dernier. Le premier enchante par son sens poétique et cette clarté dans l’émission qui habillent idéalement ce personnage de Gonzalve un peu lunaire (et manquant certes de tempérament comme le souligne presque indignée Concepción). Sa voix de ténor apparaît palpitante même et se joue des arabesques vocales du rôle. À ses côtés, Nicolas Cavallier campe un personnage proche de la caricature façon vieux beau de sa voix de basse aux profonds résonateurs et presque trop large pour la salle Raymond Devos de Tourcoing. Thomas Dolié possède toutes les qualités requises pour incarner le naïf -jusqu'à un certain point cependant-, Ramiro, muletier doté de muscles plus que d’esprit. La voix se projette avec art et facilité, dévoilant un timbre de baryton prenant et incisif. Loïc Félix fait rayonner chaque note qu’il émet dans le rôle de l’horloger Torquemada, de sa voix de ténor tout de légèreté et pourtant d’une précision extrême. Enfin, Isabelle Druet en Concepción sait comment se jouer de tous pour parvenir à ses fins ! Sa voix de mezzo se libère lors de son air "Oh ! La pitoyable aventure", livrant toutes ses plus belles et chaleureuses sonorités. Comme ses camarades de jeu, elle brûle les planches ! Faute de décors et d’accessoires, une mise en espace dynamique voit les protagonistes mimer des transports ainsi que des allers-retours dans les horloges -ou bien se fixent comme lorsque les yeux et les sens de la belle Concepción s'éveillent au muletier- animant cette version concertante et pourtant endiablée.
La direction musicale de François-Xavier Roth dans cette approche presque chambriste se démultiplie et apporte toute sa saveur espagnole à la partition de Maurice Ravel tout en servant le merveilleux et égrillard texte de Franc-Nohain. Ce concert aura reçu un grand succès de la part d'un public familial (bien loin de se douter du contenu d'un article du Canard Enchaîné paru le lendemain, faisant état d'accusations émises par des musiciens envers ce chef, d'envois de messages et photographies à caractère sexuel, entraînant des excuses de François-Xavier Roth dans les colonnes du palmipède).
Retrouvez prochainement sur Classykêo notre compte-rendu du concert avec le même programme, donné le lendemain au Théâtre des Champs-Elysées, mais pour lequel François-Xavier Roth a été remplacé le jour-même par Adrien Perruchon.